Le Pingouin by Andrei Kourkov

Auteur:Andrei Kourkov [Kourkov, Andrei]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782867465925
Éditeur: CDE
Publié: 2012-01-04T23:00:00+00:00

46

Il rentra sans voir la ville, sans se retourner. Sa main serrait fébrilement la poignée de la sacoche, et ses jambes avançaient toutes seules.

Au pied de son immeuble, il se rendit compte qu’un gars en survêtement et bonnet de ski, assis sur le banc devant l’entrée, l’observait avec attention.

Il poussa la porte et tendit l’oreille ; le hall était désert. Il referma soigneusement derrière lui.

– Alors ? lui demanda Igor Lvovitch, qui l’attendait dans le vestibule.

Avisant la serviette de cuir, il sourit. Il la prit et regagna la cuisine.

Lorsque Victor le rejoignit, après avoir enlevé ses souliers et sa parka, il le trouva en train d’en trier le contenu. Il avait posé à part un passeport diplomatique vert, avec le trident7 gravé sur la couverture, et, à côté, deux cartes de crédit, un carnet, divers tickets.

– Près de l’entrée, il y a une espèce de type…, dit Victor, debout devant la table.

– Je sais, répondit le chef sans lever la tête. C’est l’un des nôtres… Tu as de quoi manger ? J’ai faim…

Victor le regarda ; il était redevenu l’homme qu’il connaissait, tranquille et sûr de lui, qui ne tremblait pas et ne craignait rien.

Il ouvrit le frigo, en sortit des petites saucisses, du beurre, de la moutarde. Sans se retourner, il se mit aux fourneaux, et sentit un goût de tabac sur sa langue.

En allumant le gaz, il entendit son chef se lever et se rendre au salon. Dans la casserole, l’eau bouillait déjà. La voix d’Igor Lvovitch, indistincte, résonnait : il téléphonait. Victor n’avait pas envie de regarder, il voulait continuer à tourner le dos à tout ce qui arrivait, pour que cela lui demeure inconnu, en dehors de sa vie, hors de lui-même.

La porte qui grince. Des pas. Le bruit du tabouret qu’on déplace ; le chef venait de se rasseoir.

Les saucisses nageaient dans l’eau bouillante.

– T’as des dollars, ici ? demanda le chef.

– Oui, répliqua Victor, toujours de dos.

– Tu m’en prêteras huit cents.

Ils mangèrent en silence. Victor jetait des regards sur le vieux réveil posé sur l’appui de la fenêtre. Bientôt quatre heures. Nina n’allait pas tarder à ramener Sonia. Et ensuite ? Que voulait faire Igor Lvovitch ? Rester dans son appartement ? Pour combien de temps ? Et comment cela pouvait-il finir ?

Il trempait ses rondelles de saucisse dans la moutarde et mâchait mécaniquement. Au bout d’un moment, il lui sembla qu’il manquait quelque chose à table. Il comprit que c’était le pain. Son chef, assis face à lui, avalait tranquillement les saucisses sans pain. Il ne les enduisait pas de moutarde, mais écrasait chaque tranche, piquée au bout de sa fourchette, dans du beurre qui fondait au fur et à mesure.

– Fais du thé, ordonna-t-il en repoussant son assiette.

Victor obtempéra. Ils se retrouvèrent à nouveau face à face, sans échanger un mot. Le chef était perdu dans ses pensées, et Victor l’observait en songeant à ses « petites croix » ornées de la formule qu’il avait découverte. Il avait très envie de

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