Le trou dans le mur by Michel Tremblay

Le trou dans le mur by Michel Tremblay

Auteur:Michel Tremblay [Tremblay, Michel]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782742766031
Amazon: 2742766030
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2006-01-02T05:00:00+00:00


VII LA COULEUR DU TEMPS

Cette fois, en débouchant sur le trottoir de la rue Saint-Laurent, j'avais l'impression d'être prisonnier d'un Rembrandt. L'atmosphère autour de moi était devenue huileuse, un courant visqueux de couleurs brunâtres burinées par les ans, vieillies par le soleil, couvrait tout ce qui m'entourait, et on aurait dit que le temps lui-même avait ralenti, pas comme au cinéma, on était loin du slow motion, mais juste ce qu'il fallait pour créer une certaine gêne. J'évoluais dans un univers pourtant familier mais désormais baigné d'ombre et de mystère dans lequel je me retrouvais tout à coup en visite autant qu'à la taverne du Monument-National. J'étais un étranger dans mon propre monde rendu méconnaissable, et j'en ressentais un étrange malaise.

Tout était différent. Les passants, en plus de cette lenteur dont ils étaient soudain frappés, arboraient, du moins me semblait-il, des mines bizarres et des gestes étudiés. J'étais convaincu qu'ils savaient qu'ils faisaient partie de ce tableau vivant peint autour de ma sortie par la porte dérobée du Musée de la Main, qu'ils avaient été engagés comme figurants et que quelqu'un les attendait, quelque part au nord et au sud de la rue Saint-Laurent, pour leur dire que le peintre n'avait plus besoin d'eux et leur donner leur salaire. Étrange paranoïa, me suis-je dit. Pourquoi me retrouverais-je, moi, au centre, d'un tableau de la grande époque hollandaise ? Je me suis appuyé contre le mur pour réfléchir à tout ça - la porte avait disparu au moment même où j'étais sorti du couloir entre les deux bâtisses -, mais toute concentration était impossible, j'étais trop pris par ce qui m'arrivait pour pouvoir l'analyser.

J'ai cru avoir rêvé, que je dormais dans mon lit, assommé par les médicaments, que Valentin Dumas n'avait été qu'une vision, un caprice de mon imaginaire comme les deux autres avant lui, que j'étais prisonnier d'un très long rêve que je prenais pour la réalité, que j'allais me réveiller au printemps dernier, épuisé et trempé de sueur, parce que l'été que je venais de vivre n'avait pas existé. Tout était pourtant réel, j'aurais pu parler aux passants, si j'avais voulu, aller vérifier si les hot dogs du Montréal Pool Room étaient toujours aussi gras, prendre l'autobus ou un taxi... Un rêve peut-il être aussi réaliste ? Non. Le monde était donc tel qu'il l'avait toujours été, c'était la perception que j'en avais qui était transformée de subtile façon chaque fois que je sortais du Musée. Je perdais au terme de mes visites un peu plus des couleurs qui m'entouraient et je commençais à me demander si je n'étais pas atteint d'une maladie dégénérative qui me menait à petites touches vers la cécité. Mais les couleurs revenaient toujours à la normale après un certain temps, non ? Le Musée agissait-il donc comme catalyseur entre ce que je vivais à l'intérieur de la taverne et ce que j'en transportais à l'extérieur ? J'apportais avec moi pour une certaine période de temps une part de cette zone d'ombre de ma vie



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