Le sourire du Tao by Lawrence Durrell

Auteur:Lawrence Durrell [Durrell, Lawrence]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2017-10-14T22:00:00+00:00

* * *

1. Needham Joseph, Science and Civilization in China, Cambridge University Press, 6 vol. (N.d.A.)

2. Oui, absurde, car en entrant par hasard dans un temple tantrique, j’y avais vu des fresques murales représentant de joyeuses scènes de cannibalisme dans lesquelles des revenants buvaient du sang dans des crânes et déchiquetaient des corps humains avant de les manger. J’aurais donc pu recevoir un choc dans le sens opposé. (N.d.A.)

IV

L’automne arriva, indécis. L’économie de la France avait commencé à sombrer au milieu d’une agitation ouvrière due à la hausse des tarifs pétroliers. Les Arabes avaient chamboulé l’ordonnance de notre économie et je mourrais avant d’avoir vu le retour de la prospérité et du plein emploi. Bah ! quelle importance, après soixante ans ? À Paris, en flânant le long des quais*, je tombai un jour par hasard sur les Œuvres complètes d’Oscar Wilde dans lesquelles, à ma grande stupéfaction, je découvris un article sur le Tao-tö king écrit de sa main et, chose étrange, destiné à un journal de mode féminin dont il avait autrefois été le rédacteur en chef. Il s’agissait, si ma mémoire est bonne, d’un article critique de la première traduction en anglais parue à Londres, celle de Giles. Le court mais bienveillant essai de Wilde suggérait qu’il avait parfaitement assimilé les doctrines du vieux sage. Il devait dater du temps où la pauvreté l’avait contraint à se tourner vers le journalisme pour joindre les deux bouts. (Il n’est pas le seul ; Mallarmé, entre autres grands poètes, dirigea, lui aussi, à une certaine époque et pour les mêmes raisons, un magazine de mode.)

Je regagnai le Midi au moment des moissons, des courses de taureaux et des vendanges, elles-mêmes suivies par une période maussade d’orages et de brumes, présage d’un hiver précoce qui, à en croire les météorologistes, serait rude. Ils ne se trompaient pas. Une fois encore, je le passai seul en compagnie des chouettes – qui n’émirent pas la moindre plainte. Il devait y avoir quantité de chauves-souris et mulots dans le parc, avec tous ces grands arbres. J’essayais alors d’écrire deux livres à la fois, ce que l’on ne devrait jamais faire. Puis arriva une invitation des Tibétains à fêter avec eux la Nouvelle Année, au début de février. J’avais suivi avec intérêt les vicissitudes de ce petit monastère (assailli à présent de difficultés financières et qui devait le jour au brusque afflux de réfugiés consécutif à la chute du Tibet[1]). C’était certainement le plus intéressant et le plus vivant de tous les centres de Bouddhisme établis en France et le vieux château qui avait été cédé à l’ordre était admirablement situé (au fin fond de grands bois assez mélancoliques, non loin d’Autun) et convenait parfaitement aux études et retraites introspectives ainsi qu’aux séances d’initiation proposées par les lamas tibétains à un public vierge. Je n’avais jamais réussi à m’y rendre, mes voyages m’appelant toujours hors de France au moment où l’abbaye était en pleine activité. Mais le lien était solide ! Après tout, le

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