Le petit ami by Paul Léautaud

Le petit ami by Paul Léautaud

Auteur:Paul Léautaud [Léautaud, Paul]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-03-12T16:28:09+00:00


VI

Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses…

BAUDELAIRE

Je ne pourrai pas dire que je n’ai pas eu de chance au sujet de ce livre : j’ai revu ma mère il y a quelques mois. J’en étais alors presque à la fin de mon chapitre IV et je me demandais justement, en songeant à mon chapitre V, ce que j’allais bien écrire, après tant de choses déchirantes, pour amuser un peu le lecteur. Quand j’eus revu ma mère, je ne me le demandais plus.

C’est en octobre 1901, dans une ville du Nord, chez ma grand’mère, que j’ai eu ces plaisirs.

J’avais été appelé là pour assister aux derniers moments d’une tante célibataire et bien malade, la même dont j’ai parlé à la page 50, et le jour de mon départ je songeais que j’allais peut-être revoir là-bas, venue comme moi au chevet de la mourante, cette femme délicieuse que je n’avais pas vue depuis si longtemps. Quel contentement j’en éprouvais, mais quel ennui aussi ! En écrivant mon chapitre III c’était à ma gracieuse maman de 1881 que j’avais songé, c’était elle que j’avais vue et que je voulais qu’on vît. Qui savait comment j’allais la retrouver, maintenant ? Ne serait-elle pas la dame un peu abîmée et sérieuse que je craignais tant ? Si j’allais regretter, malgré moi, d’avoir écrit sur elle tout ce que j’avais écrit, et, malgré moi aussi, être obligé d’arranger mon chapitre. Un moment, je fus pour ne pas partir.

Dès mon arrivée, ma grand’mère, que je voyais pour la première fois, me parla de ma mère. Je savais déjà qu’elle était mariée, mais j’appris qu’elle avait deux enfants, qu’elle ne parlait jamais de moi, qu’elle n’en avait même jamais parlé. Elle avait été tenue comme moi au courant de l’état de sa sœur et certainement elle allait venir ; mais quand ?… Je me sentais si embarrassé à l’avance que je me demandais si je ne devais pas repartir. Qu’allait-elle dire, en me trouvant là, sans avoir été prévenue ? « Bast, me dit ma grand’mère, elle ne vous reconnaîtra pas. Il y a si longtemps qu’elle vous a vu ! Au moins vingt ans, n’est-ce pas ? Vous verrez comme elle est restée jeune. On ne dirait pas qu’elle a un grand fils comme vous. Et puis, ça s’arrangera, allez. » Et le fait est que ces trois jours passés avec ma mère furent vraiment de belles journées.

C’est le jeudi 24 octobre, vers une heure et demie, qu’elle arriva, en chemin de fer depuis quinze heures et n’ayant fait que traverser Paris, pour aller d’une gare à l’autre, venant du pays de Jean-Jacques Rousseau où sa vie est fixée à présent. C’était après le déjeuner. Je venais de reconduire une visiteuse et je refermais la porte, quand j’entendis des pas dans l’escalier et qu’on causait. Je rouvris et regardai par-dessus la rampe. Une femme montait, toute en noir, une petite valise à la main, répondant encore quelques mots à la personne qui descendait. Un profil aigu et pâle



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