Le Pays de l'absence by Orban

Le Pays de l'absence by Orban

Auteur:Orban
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2010-12-03T00:00:00+00:00


Là-bas, au pays de l’absence

– Maman tu ne vas plus dormir ce soir, peut-être devrais-tu te lever ?

– On est quel jour ?

– Dimanche.

– Léo est là ?

– Pas le dimanche.

Je la relève, elle crie un peu comme si je lui faisais mal. Bon, alors relève-toi toute seule. Elle n’est pas contente. « Alors qu’est-ce qu’on fait, tu veux rester comme une tortue retournée sur le dos ? » Elle accepte mon aide sans crier, elle croit que, si elle crie, je ne l’aiderai plus. Tu parles…

« Viens, on va dans le salon écouter de la musique. »

Alors elle chante pour montrer qu’elle aime la musique. Elle connaît trois ou quatre airs par cœur, My Fair Lady en anglais sans comprendre un mot, Summertime, Stormy Weather toujours en anglais, toujours sans rien comprendre. Pourtant, l’accent n’est pas si mauvais, maman aurait décidément fait une bonne comédienne. Lorsque j’étais enfant elle imitait tout le monde, les mimiques, les manières de s’exprimer, de marcher, de parler ; parfois elle observait les gens la bouche ouverte et, à peine avaient-ils quitté la pièce, qu’elle les singeait.

« Tiens, assieds-toi sur le canapé. » La Callas, l’Ave Maria, elle connaît, bien sûr. Elle pleure un peu parce que c’est trop beau. Normal. Puis elle a froid. J’allume la cheminée, mais elle préfère sa couverture, je pars la chercher. Je vais écrire, mon mari lit, on met la Callas pour maman, que des airs connus. On devrait écouter beaucoup de musique dans les maisons de retraite. Maman a retrouvé le sourire, elle fredonne puis elle chante.

Mon mari la complimente : elle a une jolie voix. C’est vrai. Elle est contente. Elle affirme que lorsqu’elle était jeune, on lui demandait toujours de chanter, mon père aussi disait qu’elle avait une jolie voix. C’est son quart d’heure de gloire, on est tous autour d’elle, elle a soudain un air majestueux enroulé dans sa couverture violette. Elle caresse Brownie, j’ai caché le petit singe. Je préfère l’entendre parler du vrai chien. Dans le silence, tandis qu’elle écoute la musique, elle a l’air bien. Je guette ces instants. Elle se remet à chanter avec Carmen. Je lui souris. Elle me dit c’est beau. Puis soudain :

– Rappelle-moi, tu ne montes plus à cheval ?

– Non, maman, je ne monte plus à cheval.

– Pourquoi ?

– Parce qu’à dix-sept ans, quand je suis partie pour Paris, vous avez vendu mes chevaux. J’ai alors fait vœu de ne plus jamais remonter à cheval.

– Ah, oui, c’est dommage.

Elle renverse la tête en arrière, son regard se perd. Je ne sais où. Un endroit lointain. Peu de gens vont si loin avec leur regard. Peut-être ceux qui contemplent le ciel. Mais c’est autre chose qu’elle observe ou qui l’observe. Ça fait peur. Elle sent que j’ai vu et elle revient à elle aussitôt, comme si elle abandonnait une personne que je ne devrais pas voir. Elle me fixe, agacée. Ce regard, je n’ai pas le droit de le surprendre, le regard qui part, qui ne voit rien ou qui voit tout.



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