Le pacte des diables - Histoire de l'alliance Staline et Hitler (1939-1941) by Roger Moorhouse

Auteur:Roger Moorhouse [Moorhouse, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: det_, histoire, Seconde Guerre mondiale
ISBN: 9782283034569
Éditeur: Buchet/Chastel
Publié: 2020-09-09T22:00:00+00:00

Le secteur des produits alimentaires est l’un des rares où se perçoit le profit économique de l’Allemagne. Sachant combien le moral de la population en avait souffert durant la Grande Guerre, les paladins de Hitler étaient très sensibles à la question de l’approvisionnement alimentaire. Le régime nazi veilla donc à soutenir le moral du front intérieur en lui donnant la priorité, fixant des quotas de rationnement arbitrairement élevés et levant les restrictions sur ce que les troupes allemandes pouvaient rapporter de l’étranger 76.

À cet égard, l’apport en fourrage soviétique put jouer un rôle essentiel, permettant aux agriculteurs allemands de maintenir les livraisons de viande, qui avaient un grand effet sur le moral des civils. L’accord commercial de février 1940 spécifia donc la livraison de 1 million de tonnes de « céréales et légumineuses fourragères » par l’Union soviétique – quantité portée ensuite à 1,5 million de tonnes, avec 1 million de tonnes supplémentaire anticipé pour la deuxième année. Alors que les réserves, d’environ 4 millions de tonnes, étaient restées stables une grande partie de l’année 1940, elles diminuèrent rapidement en 1941, si bien qu’au mitan de l’année l’Allemagne fut effectivement dépendante de l’approvisionnement soviétique 77. Au moment même où Allemands et Soviétiques s’affrontèrent sur le champ de bataille, les kolkhozes de Staline nourrissaient la population de Hitler.

Du point de vue allemand donc, le pacte germano-soviétique était mi-figue, mi-raisin, les quelques éléments positifs étant sans conteste contrebalancés par des insuffisances plus graves. Cela devait engendrer naturellement frustration et déception pour le régime nazi, d’autant que les négociateurs de Hitler avaient nourri l’espoir de pouvoir puiser dans les richesses de matières premières promises par l’URSS. Y parvenir se révéla cependant plus difficile.

Dans une certaine mesure, les méthodes de négociation soviétiques, qu’un participant allemand qualifia de « chicanerie 78 », entravèrent les aspirations de Berlin. Elles associaient des exigences exorbitantes et des prix irréalistes à un marchandage permanent sur les moindres détails, des retards délibérés et un entêtement pur et simple. De plus, les négociateurs soviétiques étaient étrangement imprévisibles, peu coopératifs un jour, cordiaux le lendemain, laissant souvent leurs homologues allemands troublés et contrariés. Cela faisait sans doute partie de leur plan, mais il y avait aussi des raisons concrètes à ce comportement particulier.

Tout d’abord, probablement avertis du sort d’un grand nombre de leurs compagnons lors des grandes purges de la fin des années 1930, beaucoup de fonctionnaires soviétiques rechignaient à s’engager sur toute proposition ou suggestion, de peur de marcher sur les pieds de leurs supérieurs. Ainsi que le releva Gustav Hilger, négociateur allemand à Moscou, dans ses souvenirs d’après-guerre, la « suspicion chronique des négociateurs soviétiques et la crainte de la responsabilité, même de la part d’un membre du Politburo tel que Mikoïan, marquèrent les échanges ; c’est ce qui explique en partie qu’il fallut quatre mois de discussions intenses pour aboutir 79 ». En l’absence d’impulsion politique, les négociateurs soviétiques préférèrent souvent – inconsciemment ou à dessein – laisser les pourparlers s’égarer au fil de débats accessoires ou d’exigences déraisonnables, dans l’attente de directives du Kremlin qui se faisaient désirer.

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