Le mythe de sisyphe by Albert Camus

Le mythe de sisyphe by Albert Camus

Auteur:Albert Camus [Camus, Albert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: - Divers
Publié: 2011-03-24T08:33:44+00:00


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Don Juan est-il triste ? Cela n'est pas vraisemblable. À peine ferais-je appel à la chronique. Ce rire, l'insolence victorieuse, ce bondissement et le goût du théâtre, cela est clair et joyeux. Tout être sain tend à se multiplier. Ainsi de Don Juan. Mais de plus, les tristes ont deux raisons de l'être, ils ignorent ou ils espèrent. Don Juan sait et n'espère pas. Il fait penser à ces artistes qui connaissent leurs limites, ne les excèdent jamais, et dans cet intervalle précaire où leur esprit s'installe, ont toute la merveilleuse aisance des maîtres. Et c'est bien là le génie : l'intelligence qui connaît ses frontières. Jusqu'à la frontière de la mort physique, Don Juan ignore la tristesse. Depuis le moment où il sait, son rire éclate et fait tout pardonner. Il fut triste dans le temps où il espéra. Aujourd'hui, sur la bouche de cette femme, il retrouve le goût amer et réconfortant de la science unique. Amer ? À peine : cette nécessaire imperfection qui rend sensible le bonheur !

C'est une grande duperie que d'essayer de voir en Don Juan un homme nourri de l'Ecclésiaste. Car plus rien pour lui n’est vanité, sinon l'espoir d'une autre vie. Il le prouve, puisqu'il la joue contre le ciel lui-même. Le regret du désir perdu dans la jouissance, ce lieu commun de l'impuissance ne lui appartient pas. Cela va bien pour Faust qui crut assez à Dieu pour se vendre au diable. Pour Don Juan, la chose est plus simple. Le « Burlador » de Molina, aux menaces de, l'enfer, répond toujours : « Que tu me donnes un long délai ! » Ce qui vient après la mort est futile et quelle longue suite de jours pour qui sait être vivant ! Faust réclamait les biens de ce monde : le malheureux n'avait qu'à tendre la main. C'était déjà vendre son âme que de ne pas savoir la réjouir. La satiété, Don Juan l'ordonne au contraire. S'il quitte une femme, ce n'est pas absolument parce qu'il ne la désire plus. Une femme belle est toujours désirable. Mais c'est qu'il en désire une autre et non, ce n'est pas la même chose.

Cette vie le comble, rien n'est pire que de la perdre. Ce fou est un grand sage. Mais les hommes qui vivent d'espoir s'accommodent mal de cet univers où la bonté cède la place à la générosité, la tendresse au silence viril, la communion au courage solitaire. Et tous de dire : « C'était un faible, un idéaliste ou un saint. » Il faut bien ravaler la grandeur qui insulte.

*

S'indigne-t-on assez (ou ce rire complice qui dégrade ce qu'il admire) des discours de Don Juan et de cette même phrase qui sert pour toutes les femmes. Mais pour qui cherche la quantité des joies, seule l'efficacité compte. Les mots de passe qui ont fait leurs preuves, à quoi bon les compliquer ? Personne, ni la femme, ni l'homme, ne les écoute, mais bien plutôt la voix qui les prononce. Ils sont la règle, la convention et la politesse.



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