Le métier de mourir by Jean-René van Der Plaetsen

Le métier de mourir by Jean-René van Der Plaetsen

Auteur:Jean-René van Der Plaetsen [Plaetsen, Jean-René van Der]
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2020-08-25T22:00:00+00:00


Ras-el-Bayada, le 7 mai 1985, 18 h 30

Belleface venait de sortir du bungalow et il se préparait à effectuer sa ronde. À intervalles irréguliers, et avec des itinéraires variables, il accomplissait plusieurs fois par jour le tour de leur campement, poussant son inspection jusqu’en bordure des plus lointains champs de barbelés, évitant soigneusement les mines qui avaient été enterrées çà et là sur ses instructions, selon un ordre aléatoire dont il était le seul à discerner la logique. Leur territoire, qui devait représenter un peu plus d’un hectare, n’avait plus de secrets pour lui. Il en connaissait par cœur chaque repli, chaque accident de terrain, ainsi que l’emplacement de chaque pierre ou buisson. L’un des hommes de l’équipe déplaçait-il un bloc de roche pour s’y asseoir au cours d’une garde que Belleface le remettait quelques heures plus tard dans sa position initiale. Il avait besoin que leur univers de défense fût clos et immuable pour y déceler l’intrusion éventuelle d’un visiteur ou le mouvement d’un ennemi.

Parfois, il se faisait accompagner pour ces patrouilles par l’un de ses hommes et, le temps passant, il s’était aperçu que la compagnie qu’il préférait était celle de Favrier. Avec lui, il se sentait en confiance et n’éprouvait pas la nécessité de se comporter comme le chef qu’il était pour les autres. Il percevait entre le jeune homme et lui de nombreux sujets de connivence, parfois même une réelle complicité. Dans ces moments-là, il voyait en la personne du Français comme un élève qu’il lui appartenait de former et d’instruire à l’art de se battre et de survivre.

Mais il discernait aussi en lui-même un mouvement plus profond, qui n’avait rien de rationnel car il appartenait à l’ordre du cœur et non de l’esprit, et qui était le désir de protéger Favrier. La vie ne lui avait pas permis de fonder une famille, et encore moins de s’encombrer d’enfants mais, à mesure que le temps passait, le Vieux se disait que le jeune Français pourrait bien devenir, d’une certaine façon, le fils qu’il n’avait pas eu.

Belleface était le premier surpris de l’état et de la teneur de ses réflexions. Tu vieillis, songeait-il alors. Tu fais dans le sentiment et tu deviens comme tant d’hommes qui s’accouplent parce qu’ils ne songent qu’à se reproduire. Jusqu’à présent, tu es parvenu à évacuer toute forme de sentimentalisme de ton existence. Tu ne vas pas t’y mettre à ton âge ! Mais les élans du cœur, qu’ils soient d’ordre amoureux ou de nature paternelle, se jouent des injonctions de la conscience. Et, au fond de lui, Belleface n’était pas mécontent de spéculer avec l’idée qu’un jeune homme, qu’il aurait choisi parmi tant d’autres, pourrait lui survivre et prendre son relais. Il y avait là comme un succédané d’instinct paternel qui lui convenait très bien.

Il se tenait maintenant à une dizaine de mètres du bungalow, sur le terre-plein abrité par un haut remblai de terre, et il se demandait par quel côté il commencerait sa ronde. Il opta pour un tour par le nord, où se trouvait la barrière du check-point.



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