Le livre des sœurs by Amélie Nothomb

Auteur:Amélie Nothomb [Nothomb, Amélie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature belge
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2022-08-16T22:00:00+00:00

À la fin de l’été, une HLM se libéra non loin de là. Avant d’aller rejoindre sa mère et ses frères, Cosette eut une longue discussion avec sa marraine :

– Tu sais, avec maman, j’ai du mal. Je voudrais être toi. Toi, elle t’estime, elle te respecte. Moi, elle dit que je suis elle en plus jeune. Ça ne lui inspire aucune tendresse.

– Elle ne s’aime pas, la pauvre.

– Pauvre de moi, oui ! Je voudrais que ma mère m’aime.

– Moi aussi, je voudrais ça.

– C’est vrai que tante Nora n’est pas très gentille avec toi.

– Elle n’est pas méchante. Mais il n’y en a que pour mon père.

– Au moins, tu en as un, de père.

– Pas particulièrement.

– Je crois que ça manque à maman. S’il y avait un homme à la maison, elle ne se laisserait pas aller comme ça. Parfois, la nuit, je vais la regarder dormir sur son canapé, devant la télé allumée, et je me dis que je préférerais mourir que devenir elle.

– Tu ne deviendras pas elle.

– D’accord. Qu’est-ce que je vais devenir ?

– Laetitia va créer un groupe rock. Elle chantera, elle jouera de la guitare. Je t’imagine bien à la batterie.

Cosette ouvrit des yeux extatiques.

– Tu crois ?

– J’en suis sûre.

Il se passa une chose curieuse. La joie de la filleule dura à peine un instant. Tristane vit un voile sombre recouvrir presque aussitôt le regard illuminé. Fallait-il qu’elle la questionne ? La jeune marraine pensa que ce serait de mauvaise politique.

– Tu sais, Tristane, les meilleurs moments de ma vie, c’est avec toi. Je fais ma fière, je me donne des airs, c’est pour vous épater, Laetitia et toi. Quand je suis seule, je m’embête.

– C’est normal d’avoir besoin des autres. Moi aussi, j’aime être avec toi.

– Tout à l’heure, vu ce que j’ai dit à propos de ma mère, tu as peut-être cru que j’étais jalouse de toi. C’est plutôt Laetitia que je jalouse, même si je l’adore. C’est ça que j’aurais voulu : être ta sœur.

– Et si tu voyais ce que tu as ?

– Dis-moi donc ce que j’ai de bien.

– Je vais te confier mon plus grand secret. Je ne l’ai jamais dit à personne. Ce qui me rend malade, c’est que j’ai l’apparence d’une petite fille terne.

– Qu’est-ce que tu racontes ?

– Ne rigole pas. Si tu savais comme j’en souffre !

– Ça va pas ? Tristane, tu es la personne la plus intelligente et la plus intéressante que je connaisse.

– Quand je parle, ça s’arrange. Quand je ne dis rien, on ne remarque pas que j’existe. Je suis une petite fille terne.

– J’en reviens pas que tu te voies comme ça.

Elle raconta à Cosette l’échange qu’elle avait surpris entre son père et sa mère.

– Tonton Florent et tatie Nora n’ont pas les yeux en face des trous ! éructa la filleule.

– Tout à l’heure, je t’ai parlé du groupe rock de Laetitia, celui dans lequel tu joueras de la batterie. Tu ne m’as pas demandé de quel instrument je jouerai.

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