Le Gorille se mange froid by Antoine Dominique

Le Gorille se mange froid by Antoine Dominique

Auteur:Antoine Dominique [Dominique, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Littérature française, Espionnage
Éditeur: Gallimard - Série Noire
Publié: 1975-11-01T23:00:00+00:00


X

Ce matin : 11 juin, un printemps radieux. Boris, qui dormait nu, s’approcha de la fenêtre de sa chambre donnant sur la voie ferrée : pas de train, pas de cheminot sur les voies. Il aurait voulu se mettre debout sous le soleil. Dans son pays, au Turkestan, toujours beaucoup de soleil, pas de fumée comme ici. Mais justement, ce matin, à part ce halo un peu ouaté, un ciel pur. Il aurait aimé entendre chanter les oiseaux. Pas d’oiseaux sur les voies ferrées.

Il se grattait la tête, en traînant devant cette fenêtre. Il était outré au fond de lui-même. Dans le temps, Geo et lui s’étaient bagarrés, ç’avait été du beau spectacle… Le géant du Turkestan, l’« Ours Kodiak », contre le « Gorille » ! Et voilà qu’il n’avait rien fait, lui, Boris, et que le « Gorille » lui tournait autour pour lui chercher des crosses… Ça, c’était de la vacherie pure ! Il bailla, éleva ses bras : trente kilos de viande, et soupira :

— Ils ont dû le planquer ici, le Pachurst… pour donner le change aux Frisés… Comme ça, les Franzouses vont nous refiler les Frisés sur les reins…

C’était le jeu, mais ce jeu lui déplaisait. Il avait gardé une grande estime pour le « Gorille ». Il l’aimait bien. D’abord parce qu’il était S.R. comme lui, appartenant ainsi à l’une des franges de la société. Mais surtout, parce que c’était, encore comme lui, un colosse. Les colosses ont leur monde à eux. Ils ne vivent pas sur le rythme des autres gens, puisque densité et pesanteur les placent dans une échelle différente des autres vivants. Certains problèmes leur sont facilités. C’est bonasse, le colosse, parce que ça n’a pas souvent besoin d’être méchant pour défendre sa place.

Il avait pris des habitudes occidentales, Almazian. Il se fit donc monter un café, par l’adjoint préposé, qui observa d’un œil terne le géant tout nu. Deux mètres et cent quarante kilos de muscles sans écorce, c’est un spectacle peu ordinaire. Mais si l’on entrouvre chaque matin ses fenêtres sur le mont Blanc, au bout de quelques semaines on ne le voit plus.

— Va faire beau aujourd’hui, Boris.

Boris se laissa choir sur une chaise, en face du plateau, vérifiant une pyramide de sandwiches. S’il prenait du café noir, il y ajoutait un petit quelque chose. Pas bésef : un kilo de pain, cinq cents grammes de jambon…

— Faut pas s’y fier. Le temps n’est pas encore pris.

— Moi, je crois que si.

Boris secoua la tête, prit délicatement un sandwich entre le pouce et l’index et l’enfourna en entier dans sa vaste bouche. Il fit signe à l’autre de s’en aller.

Quelques minutes après, il se sentait mieux. Pas de douche, un tub. Il se fit chauffer une bassine d’eau, la versa dans le grand bac et s’assit dedans. Admirable nourrisson !

Il se rasa avec un rasoir à manche. Il devait avoir des poils proportionnés à sa taille, parce que le rasoir criait comme si on avait ravalé une façade de pierre.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.