Le fumoir by Marius Jauffret

Le fumoir by Marius Jauffret

Auteur:Marius Jauffret
Format: epub
Éditeur: Éditions Anne Carrière


Ce matin-là, je rends mon plateau intact à l’aide-­soignante. À midi, je refuse d’aller au self.

— Je n’ai pas faim.

— L’appétit vient en mangeant.

Pierre qui roule n’amasse pas mousse et un homme averti en vaut deux. Oui, j’ai compris. Kapo ! La haine monte en moi. Je ne culpabilise plus. Pourquoi n’entamerais-je pas une grève de la faim ? À faire d’urgence : informer les médias. Lancer une pétition sur Internet. Écrire une lettre au président de la République.

Pourquoi je ne fais rien ? C’est une passivité anormale face à une injustice aussi révoltante. Allons fumer, nous y verrons plus clair.

Cette histoire de non-rébellion est plus ancienne que la bâtisse elle-même. La peur plane en permanence dans les couloirs de l’asile. On dresse les patients, et c’est tout un art. Jour après jour le respect dû à la psychiatrie leur est insidieusement inoculé en même temps que le Largactil. Je n’ai noté que de petits écarts de comportement, les pleurs de Nora, quelques injures anodines de psychotiques à l’adresse du personnel médical, par exemple. Mais l’interné revient tôt ou tard à la niche. Son bifteck, c’est la mainlevée. La seule manière de l’obtenir est de faire allégeance au psychiatre. Chacun se comporte en labrador docile redevable à son maître. Car, si étrange que cela puisse paraître, nulle autre personne n’a le pouvoir de vous faire sortir d’un endroit pareil. Ni un frère. Ni un parent. Et dans la pratique, pas même un juge ou un avocat. Enfermez le pire des sauvageons dans un hôpital psychiatrique, et en quelques jours il se métamorphosera en chat neurasthénique, il respectera à son corps défendant un homme comme Faucon.

À l’asile, le psychiatre occupe la fonction suprême. Il dirige les infirmiers, les cadres qui préparent la paperasse, les aides-soignants au bout de la chaîne alimentaire, avant les stagiaires et les femmes de ménage. Il décide de la sortie ou non des malades (plutôt non que oui), des traitements infligés à leur insu. Il possède un droit de veto, qu’il n’a jamais à sortir de sa manche puisqu’il est de mèche avec le directeur de l’établissement. Business is business.

L’asile est un lieu clos, interdit d’entrée, non contrôlé, ni par la police ni par la justice, et quasiment jamais par l’Inspection générale des affaires sociales. Le psychiatre a la mainmise sur l’établissement, si bien que même le juge ne contrarie jamais ses décisions. Le psychiatre est au-dessus des lois, des droits de l’homme. Dans les reportages sur la psychiatrie, on n’évalue et ne passe au crible que le système psychiatrique. S’il y a des manquements de la part du personnel, on l’impute toujours au manque de moyens, jamais à l’esprit qui règne dans ces services. Le psychiatre, lui, se croit l’auteur d’une œuvre d’art. Il fait ce qu’il croit utile de faire, comme un patient commandé par une voix divine qui lui ordonnerait d’enfoncer une porte. Sans réfléchir.

Faucon règne en despote sur un petit royaume enclavé dans Paris, en France, en démocratie. En est-il seulement conscient ? Oui.



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