Le cœur des louves by Servant Stéphane

Le cœur des louves by Servant Stéphane

Auteur:Servant, Stéphane [Servant, Stéphane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782812605581
Éditeur: Le Rouergue
Publié: 2013-08-16T22:00:00+00:00


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C’était la première fois que je prenais le train. Le voyage avait été long, extrêmement long. Mais ça ne m’avait pas dérangée. Je devais avoir l’air d’une imbécile, avec mon nez collé à la vitre tout au long du trajet. Je m’émerveillais de voir l’architecture et les paysages lentement se métamorphoser. Le ciel lui-même semblait accompagner ce mouvement. Le gris du Nord avait peu à peu été égratigné par des ongles bleus. Puis le bleu avait subitement tout envahi, comme si on avait déversé un pot de peinture entier sur une toile. Plus loin, dans une large plaine sertie de montagnes acérées, les nuages étaient revenus en moutonnant. Leur laine avait viré du blanc au sombre pour enfin devenir aussi noire que la toison du bouc que nos voisins avaient dû abattre tant il était mauvais. Les nuages lourds avaient crevé alors que la pierre des maisons se faisait plus blanche. Une pluie dense et violente était venue fouetter la vitre du compartiment et je m’étais amusée à suivre le trajet des gouttes sur la toile de verre. Leur trajectoire semblait aléatoire. Comme si chacune avait sa logique propre et se moquait de savoir ce que deviendrait l’autre. Et pourtant, peut-être mues par le hasard ou peut-être par une force à laquelle elles ne pouvaient résister, elles finissaient toujours par se retrouver et former une rigole qui s’échappait loin de ma vision. Malgré moi, j’avais alors pensé à ma famille. Je savais que je partais pour toujours. Que jamais je ne reviendrais dans ce Nord où pourtant j’avais vu le jour. Que je ne reverrais jamais ma mère. Elle avait glissé dans mon bagage quelques vêtements de laine qu’elle avait tricotés à dessein. Malgré mes vingt ans, elle avait toujours peur que je prenne froid. Je m’étais retenue de lui dire que là-bas, dans le Sud, il faisait toujours beau, parce que je savais ce que ces bouts de laine représentaient pour elle. Un lien qu’elle aurait aimé solide. Un amour qui ne pouvait être défait. Un prolongement de l’enfance et de l’innocence. La laine qu’elle avait utilisée pour ces nouveaux vêtements provenait de mes habits d’enfant. Elle les avait défaits et mêlé la matière de plusieurs d’entre eux pour leur donner la forme nouvelle de mon corps de jeune fille. Mais ces vêtements que j’avais abandonnés en grandissant comme le serpent le fait avec ses mues, je n’en voulais plus, elle le savait. Et malgré ses doigts habiles, je pouvais toujours reconnaître dans mes nouveaux habits les vestiges de ceux que j’avais portés enfant. J’avais refermé ma valise sans un mot. Je m’étais promis de m’en débarrasser une fois arrivée dans le Sud.

Bientôt, l’averse s’était tue. Le soleil était revenu polir la pierre blanche des maisons qui s’égrenaient le long de la ligne de chemin de fer. Les champs d’un vert insolent avaient laissé la place à une terre plus âpre où la roche affleurait sous la terre ocre. Dans les pâtures, les vaches grasses s’étaient muées en chèvres faméliques et en moutons floconneux.



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