Le Continent Déchiqueté by Genefort Laurent

Auteur:Genefort,Laurent [Genefort,Laurent]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Science Fiction
ISBN: 2-265-06340-1
Éditeur: Fleuve Noir
Publié: 1997-10-31T16:00:00+00:00

Ils établirent un campement près d’une forêt devenue un cimetière d’arbres. La brise charriait de lourds nuages de cendres, et attisait parfois des tisons incrustés dans les troncs noircis, les animant brièvement de dizaines d’yeux rougeoyants. Ils avaient pris la précaution de se mettre sous le vent. Lemuel avait assisté à d’autres dérèglements sans cause apparente. Deux jours auparavant, des crabes nains avaient envahi la plage, si nombreux qu’ils se montaient les uns sur les autres. La troupe s’était réfugiée dans un bois, en attendant que la vague cliquetante soit passée. Il n’y avait rien à redouter des crabes nains, qui ne se nourrissaient que de choses mortes aux dires du bione interprète. C’était toute la machinerie écologique qui avait des ratés. Bientôt, tous ces crabes nés de façon prématurée agoniseraient, lésant l’écosystème.

Lemuel se coucha avant Sureau. L’état de son exosquelette le tracassait, l’empêchant de sombrer dans le sommeil. Plusieurs fois, le pied gauche s’était bloqué au niveau de la cheville, allumant des lampes d’alerte à sa ceinture. Une défaillance s’était produite, un problème évoquant un faux contact. Lemuel espérait que l’appareil tiendrait jusqu’à l’épuisement des réserves d’énergie. Celles-ci baissaient avec régularité.

De plus, une chaîne montagneuse se profilait depuis quelques jours. Ses sommets couronnés de blanc crevaient haut l’horizon. La platitude du géo-artefact l’avait fondue dans la toile de fond du paysage, mais elle ne cessait de grossir et ses contreforts tapissés de forêts commençaient à incurver l’horizon. Ils devraient franchir cet obstacle, et les biones interrogés à ce sujet ne montraient guère d’entrain, au point que Lemuel songea qu’ils finiraient peut-être par déserter. Aucun engagement ne les liait avec les humains, sinon la curiosité qu’ils inspiraient et l’intérêt porté sur les jeux.

Il songeait aussi à autre chose. Des biones à longues pattes, que Sureau appelait les Véloces, avaient repéré une masse énorme, échouée dans une baie à quatre heures de marche.

Il se tourna sur le côté afin de soulager sa poitrine, aperçut Sureau qui entraînait l’interprète derrière une dune, à l’orée d’un bois d’arbres-serpents. Que faisait-il donc ? Lemuel se redressa sans bruit et les y suivit, en restant caché. Le début de la conversation lui avait échappé, mais il était aisé à reconstituer. L’homme posait des questions au bione à voix basse.

— Que représentons-nous, humains, pour vous qui êtes des machines ?

— /De nouveaux objets /pouvant être interprétés.

— Et vous, comment vous définissez-vous ?

— /La question /est trop vague.

— En tant qu’espèce.

— /Notre espèce a /des composants carboniques d’origine artificielle. /Elle se divise en /quatre grands groupes de spéciation. /La composition [—> nos organes] est…

— Non, je veux dire… Quelle est votre perception de vous-même dans le monde ?

Le bione réfléchissait, parfaitement immobile. Puis il frémit, indiquant qu’il avait trouvé une solution.

— /Nous interagissons /avec le milieu. //Nous interagissons /avec nous-mêmes.

Lemuel bougea, faisant remuer une branche. Il se redressa, confus de son indiscrétion.

— Cela signifie qu’ils évoluent, tout simplement. Interagir avec l’extérieur, c’est une définition du vivant, non ?

Le planétaire ne parut pas surpris de son irruption. Dardant ses prunelles noires dans les yeux bleus de son vis-à-vis, il secoua le chef.

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