Le cas Malaussène (tome 1: Ils m'ont menti) by Daniel Pennac

Le cas Malaussène (tome 1: Ils m'ont menti) by Daniel Pennac

Auteur:Daniel Pennac
La langue: fra
Format: mobi
Éditeur: Éditions Gallimard
Publié: 2016-04-15T00:00:00+00:00


Nous,

Magistrats bénévoles,

Constitués en tribunal provisoire,

Condamnons en outre l’actuel gouvernement, réputé socialiste, à supporter seul le ridicule du premier enlèvement caritatif de l’histoire de notre justice.

Charité que nous déclarons conchier d’une même et forte voix,

En mémoire

De la Solidarité assassinée,

Et du Droit anéanti.

Dans les secondes qui suivirent cette lecture, la juge Talvern s’offrit une authentique vision. Elle vit l’abbé Courson de Loir — qu’on n’appelait, c’était vrai, jamais autrement que l’Abbé — planté droit comme un étendard sur le parvis de Notre-Dame devant les quatre administrateurs du groupe LAVA qui, genoux ployés, têtes basses et bras tendus, lui présentaient le chèque de la rançon épinglé sur un coussin rouge à glands dorés. Qu’est-ce qui me prend ? se demanda la juge. La vision était aussi nette que si elle avait pris la place du manifeste sur son écran.

Maître Soares interrompit son monologue.

— Madame la juge ? Vous m’écoutez ?

La juge Talvern fronça les sourcils et posa sur l’avocat un regard circonspect.

TALVERN : Êtes-vous croyant, maître ?

SOARES : Je vous demande pardon ?

TALVERN : Croyez-vous en Dieu ?

SOARES : Je ne vois pas ce que la religion vient faire dans notre affaire, je…

TALVERN : Vous venez de l’y introduire.

SOARES : Moi ?

TALVERN : En me priant de considérer le trafic d’adolescent auquel s’est livré votre client sur la personne de Nessim Olvido comme un « péché de jeunesse ». Un péché, n’est-ce pas ?

SOARES : C’était une façon de parler.

TALVERN : Façon religieuse. Qui réclame l’absolution.

SOARES : Une expression comme une autre…

De nouveau transportée sur le parvis de Notre-Dame, la juge entendait maintenant l’Abbé déclarer à une foule médiévale en tunique et surcot (où elle reconnut les édiles de la capitale et les membres du gouvernement) que jamais, au grand jamais, la Charité ne se nourrirait de l’argent du crime. La voix de l’Abbé tonnait. Il avait des lueurs de bûcher dans les yeux.

TALVERN : En matière de droit, maître, il n’y a pas d’expressions comme les autres.

SOARES : Je ne comprends pas ce que…

Au-dessus de l’Abbé, immobile dans le soleil du matin, une buse madeleine jouait à l’Esprit saint. Elle rayonnait. Un imperceptible frémissement de ses plumes indiquait qu’elle allait se ramasser sur elle-même et plonger. C’était imminent. Son œil rond avait repéré une proie. Ici, la juge Talvern entendit clairement une voix murmurer à son oreille : « Tu vas voir qu’elle va piquer le chèque, cette conne. » C’était une voix familière, montée de son enfance, une voix qui se plaisait à la drôlerie des choses.

La juge ne sourit pas.

TALVERN : Tenons-nous-en au droit, maître, voulez-vous ? Il se fait tard.

Tout à coup, elle s’adressa à Jacques Balestro.

— Le soleil est couché depuis longtemps, monsieur Balestro. Maître Soares a raison sur un point : en neuf heures d’interrogatoire nous n’avons guère avancé. Y passerions-nous la nuit que nous n’avancerions pas davantage, n’est-ce pas ?

Balestro rassembla ses dernières forces :

— Faut croire que j’ai plus rien à vous dire.

Quoique vêtu du même costume que la veille, Jacques Balestro avait émergé de sa première nuit de prison comme d’une peine de longue durée.



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