Le cantique des innocents by Donna Leon

Auteur:Donna Leon [Leon, Donna]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: Points
Publié: 2012-07-06T22:00:00+00:00

« Tu rentres tôt, ce soir », lui lança Paola depuis le séjour, dès qu’il eut franchi sa porte. Elle avait dit cela sur un ton pouvant laisser croire que son arrivée inattendue était la chose la plus agréable qui lui fût arrivée depuis un bon bout de temps.

« J’ai dû quitter Venise pour aller m’entretenir avec quelqu’un et, à mon retour, ça ne valait plus la peine de retourner au bureau », lança-t-il à son tour depuis l’entrée, tout en accrochant son veston. Il préféra rester des plus vagues sur cette sortie hors des limites de la ville ; si jamais elle lui demandait de la lui raconter, il le ferait, mais il ne voyait pas de raisons de l’accabler avec les détails de sa vie professionnelle. Il desserra sa cravate, se demandant pourquoi, au nom du ciel, il continuait à en porter ? Et pire encore, pourquoi il ne se sentait pas correctement habillé sans une cravate ?

Il alla dans le séjour où il trouva Paola comme il s’attendait à la voir, allongée sur le canapé, un livre posé, ouvert à l’envers, sur sa poitrine. Il s’avança jusqu’à elle et lui serra un pied.

« Il y a vingt ans, tu aurais pris la peine de te pencher pour m’embrasser, dit-elle.

— Il y a vingt ans, mon dos n’aurait pas protesté si je l’avais fait », répondit-il, se penchant néanmoins sur elle pour lui donner un baiser. Quand il se redressa, il se tint mélodramatiquement les reins et se dirigea d’un pas cassé vers la cuisine. « Seul le vin peut me sauver », dit-il, la voix tout aussi cassée.

Dans la cuisine, il fut accueilli par un mélange d’arômes de pâtisserie, d’un côté, et quelque chose d’à la fois doux et fort, de l’autre. Sans effort et sans protestations lombaires, il se pencha pour regarder dans le four et vit le plat profond en verre que Paola utilisait toujours pour les crespelle, accommodées cette fois-ci avec des zucchini et ce qui paraissait être des peperoni gialli, ce qui expliquait la complexité des parfums.

Il ouvrit le réfrigérateur et étudia son contenu. Non, le temps s’était rafraîchi et Guido eut soudain envie de vin rouge. Dans le placard, il prit une bouteille portant le nom de Masetto Nero et étudia l’étiquette, incertain de sa provenance.

Il retourna jusqu’à la porte du séjour. « Dis-moi, c’est quoi, le Masetto Nero ? Et d’où vient-il ?

— D’un vignoble qui s’appelle Endrizzi, c’est quelque chose que mon père nous a fait parvenir », répondit-elle sans lever les yeux de son livre.

Cette explication laissa Brunetti d’autant plus perplexe qu’il ne pouvait déterminer les proportions de ce que faire parvenir voulait dire, quand le comte Orazio Falier était l’expéditeur. S’agissait-il de douze caisses, arrivées sur sa vedette personnelle ? Ou d’une seule bouteille, apportée par l’un de ses employés pour qu’ils la goûtent ? Ou alors avait-il acheté ce vignoble et « fait parvenir » quelques bouteilles pour qu’ils lui disent ce qu’ils en pensaient ?

Il retourna dans la cuisine et ouvrit la bouteille.

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