Le bar des menteurs by Ingrid Naour

Le bar des menteurs by Ingrid Naour

Auteur:Ingrid Naour
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Prospéro's books
Publié: 2014-09-09T04:00:00+00:00


VI

J

e me lève d’un pied peu assuré à la même heure que le jour. La tempête fait rage. Des rafales de vent s’engouffrent dans le mimosa du jardin dont les branches chatouillent les tuiles du toit.

Je n’en pouvais plus de me réfugier sous les draps. De temps à autre, je touchais le carrelage pour vérifier si la maison n’était pas inondée. L’océan est à cinquante mètres à peine. J’aurais dû m’équiper d’une bouée avant de me coucher.

Le ciel est redevenu serein alors que j’avais encore le nez collé à la vitre de la porte d’entrée. Pierre Mac Orlan prétendait que les solitaires finissent par avoir des nez retroussés à force d’attendre, rivés à leur fenêtre, que quelqu’un vienne les visiter. Encore quelques nuits comme celle-ci et mes cloisons nasales témoigneront de mes effrois.

La plupart des fleurs du jardin n’ont pas résisté au caprice d’Éole. Ma tristesse se dissipe dès l’arrivée des oiseaux. Ils viennent au ravitaillement. Ma présence ne les importune pas. Bien au contraire, ils s’approchent au plus près et rivalisent par leurs chants. Ma carrière d’épouvantail à moineaux commence mal. Je suis décidément douée pour rien. Et on voudrait que je m’active !

Le Bar des menteurs n’est pas près d’ouvrir. Je les ai quittés alors que la soirée était déjà bien avancée. Remets-moi ça dansait avec Béné sur l’air du « Tango corse » chanté naguère par Fernandel. La Bernique, fataliste, m’a glissé :

— Avec Remets-moi ça, l’heure de la fermeture n’existe plus. On n’interrompt pas un homme qui boit. Telle est sa devise. De surcroît, je n’ai pas envie de me faire écharper par ses admiratrices.

Les oiseaux, une fois repus, sont repartis. Je ne tiens pas en place. Cette fois-ci, je tente l’aventure à vélo jusqu’au port de Noirmoutier. Claude m’en a vanté la poésie. Il y rencontre souvent le Pêcheur de lune, un doux rêveur définitif, qui, les nuits où la belle dame est de bonne humeur, lance des lignes imaginaires. Si je l’aperçois, je suis certaine de le reconnaître. Nous appartenons à la même famille, celle des « à part », des apatrides dont le cœur bat dans les mirettes.

J’ai roulé un quart d’heure à peine avec vent dans le dos. Une vraie flèche ! Malheureusement, le lacet de ma chaussure droite s’est coincé dans le dérailleur. Impossible de le dégager. J’avance péniblement en m’aidant de mon pied libre. Bien vite, je suis victime d’une crampe. Et pas une maison à l’horizon ! Que des champs de pommes de terre. Les rares automobilistes me doublent ou me croisent sans daigner se porter à mon secours.

J’aperçois un motocycliste. Je lui fais des signes désespérés. L’homme s’arrête près de moi, jauge la situation, retire son casque et sort un couteau à cran d’arrêt. Je suis terrorisée. Il ressemble à Jean Yanne dans Le Boucher de Claude Chabrol. Il va me dépecer sur place !

Sans un mot, il plonge sa lame et tranche net le lacet. Je l’embrasserais volontiers mais je n’ose.

— Merci, monsieur. Je suis souvent au Bar des menteurs, je serais heureuse de vous payer un verre.



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