L'ascenseur social est en panne... j'ai pris l'escalier by Senni Aziz

L'ascenseur social est en panne... j'ai pris l'escalier by Senni Aziz

Auteur:Senni, Aziz [Senni, Aziz]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, France, Entreprise, Société
Éditeur: Bibliothèque de Skystan - Lien privé
Publié: 2011-10-05T11:22:25+00:00


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Victor

Je travaillerai quelques mois encore chez Dilipack avant de changer de secteur. L’emploi suivant me rapproche d’un vieux rêve d’enfance : les avions. J’entre dans une compagnie de transport aérien basée à Roissy et me retrouve toute la journée au contact de ces machines que j’ambitionnais de piloter quand j’étais petit. Mais j’ai grandi et me lasse vite de ces « grands jouets ». Mon rêve a changé de nature. Depuis l’époque du Sentier et les cours de BTS, je caresse le projet de devenir au plus vite mon propre patron.

C’est une rencontre qui me poussera à franchir le pas plus rapidement que prévu. Elle a lieu au cours d’un dîner chez des amis. Pendant une conversation, le jeune musulman d’origine marocaine que je suis se découvre de sérieuses affinités avec un juif d’origine tunisienne, de près de quarante ans son aîné.

En débarquant de Tunis, Victor a monté une entreprise de pâtes alimentaires avec son père. Puis il a tâté de tout ce qui peut exister dans les affaires : immobilier, commerce international, placements financiers, conseils en entreprise… Il semble pourtant très éloigné du profil du businessman carnassier. À plusieurs reprises au cours de notre relation, je m’étonnerai de voir cet as de la finance faire passer les sentiments avant le profit : en plaisantant, je lui dis souvent qu’il sera le seul juif à entrer au Paradis. Je sais, par exemple, qu’il a raté une affaire immobilière parce qu’il a accordé des appartements à des gens qui n’avaient pas les garanties nécessaires. Ils étaient dans la mouise et sont venus le supplier de faire une exception parce qu’un logement leur permettrait de se relancer dans la vie… L’immeuble a rapidement décoté et il y a laissé des plumes. Mais il s’en fiche ! Il juge qu’il ne pouvait pas agir autrement.

Il y a quelques années, un drame familial a fait basculer la vie de Victor : à la douleur de la perte d’êtres proches s’est ajouté le sentiment d’avoir travaillé et appris toute sa vie pour rien, de n’être plus utile à personne. Au hasard des rencontres, il découvre des jeunes gens qui, selon lui, ont un profil leur permettant de réussir mais à qui il manque les finances, le réseau, les connaissances ou la méthode pour y parvenir. Retraité, très à l’aise financièrement, il se consacre, tel un Socrate des temps modernes, à faire découvrir à « ses espoirs » les ressources qu’ils ont en eux. Ils sont nombreux à lui devoir, en partie, leur réussite professionnelle. Parmi ceux que je connais, il y a un commissaire-priseur, un pilote de ligne, le responsable d’une entreprise du bâtiment.

La méfiance alliée à la conviction que personne ne donne sans attendre en retour m’incitent à lui demander ce qui le pousse à leur consacrer tant de temps, tant d’efforts. Voici sa réponse :

— C’est égoïste, c’est simplement pour moi. Chaque fois que j’aide un jeune à réussir, c’est comme un trophée de chasse que j’accroche au mur. J’ai le plaisir d’avoir parié sur quelqu’un et d’avoir gagné.



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