Léone et les siens (French Edition) by Claude Roy

Léone et les siens (French Edition) by Claude Roy

Auteur:Claude Roy [Roy, Claude]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782072691492
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2017-03-30T22:00:00+00:00


17

Il aurait dû arriver quelque chose, et peut-être cela arriva-t-il. Peut-être Hugo est-il venu un après-midi, pendant qu'il n'y avait personne à la maison, que Léone. Ou bien a-t-il téléphoné – et c'est Léone qui aura répondu ? A moins que quelqu'un ne soit venu de sa part, que nous ne l'ayons pas vu ? Mais nous ne vîmes plus Hugo à la maison, pendant des jours et des jours. Et, d'abord, personne ne s'aperçut de rien. Seulement que Hugo n'était plus là, et quand Aimé en parla à Léone, elle se borna à dire qu'il ne fallait pas s'en occuper, qu'elle savait, qu'il reviendrait sans doute – ou ne reviendrait pas.

Aussi, quand Léone n'était pas avec nous, nous disions que cela valait mieux, somme toute, que ça devait finir comme ça, qu'il y avait longtemps qu'on pouvait s'y attendre que de toute façon c'était insoluble, et que Léone serait plus heureuse ainsi.

Mais Léone commença à ne plus dormir, et elle restait assise toute la nuit à sa table, écoutant la radio, travaillant, et ne travaillant pas, se levant pour aller dans la cuisine se faire un citron pressé avec beaucoup de glace, fumant des cigarettes, se couchant quand enfin le jour était là, dormant quatre ou cinq heures. Quand elle était avec nous, elle était gentille, mais distraite. Aimable, mais absente. Elle commença à maigrir, et au bout de dix jours à être plus irritable, à pleurer pour un rien. Mais est-ce qu'on pleure vraiment pour rien ?

Johanna était comme les vieillards de la tribu le jour de la nouvelle déclaration de guerre, qui racontent en 1914 comment c'était la déclaration de guerre en 1870, et en 1940 comment c'était en 1914.

– Avec Luc, je ne sais comment c'était, ainsi c'est ainsi, disait-elle. Je n'étais pas là (on sentait qu'elle le regrettait, qu'elle avait la nostalgie des anciens malheurs de Léone auxquels elle n'avait pas eu part, dont elle ne pouvait parler que par ouï-dire, qu'elle ne pouvait revivre qu'indirectement, faiblement). Avec Léone, il était venu à New York en 1939 pour Balenciaga, et quand guerre il y a eu, mobilisation en France, là-bas il est reparti, et après la guerre il s'est à Nice marié. Quand j'ai connu Léone, c'était Howard.

Nous écoutions Johanna raconter Léone-et-Howard, leur autrefois, et à travers son récit nous pouvions très bien imaginer ce qui s'était passé, comment il y avait eu peu à peu entre eux cette fatigue, cette anémie pernicieuse. Johanna évoquait avec une délectation amère, solennelle, les derniers mois du temps de Howard, comme si maintenant tout l'autre-fois de Léone nous appartenait, devait être ouvert aux médecins en consultation, pour qui on soulève les draps et à qui on fait examiner la malade, en récapitulant tous ses antécédents, son passé, les prodromes de la maladie. Léone avait tout le temps la sensation d'être vidée, de marcher, disait Johanna, sur des accus perpétuellement en train de se décharger. Une fatigue, oui, un poids qui s'attachait aux mouvements de Léone, les ralentissait, faisait de chaque geste un effort épuisant.



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