Léon et louise by Alex Capus

Auteur:Alex Capus [Capus, Alex]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2012-09-04T22:00:00+00:00

Le service des Étrangers, le bureau 205 chargé du contrôle des étrangers et des réfugiés, était devenu célèbre bien au-delà des frontières nationales sous le nom de ministère de la Honte. Il se composait d’une centaine de ronds-de-cuir dont la tâche exclusive était d’espionner, de contrôler et de harceler tous les réfugiés et expatriés cherchant l’asile au pays des droits de l’homme et de leur rendre la plus difficile possible l’obtention d’une carte de séjour permanent. Créé avec de nobles motivations comme organisation d’assistance aux débris humains de la Première Guerre mondiale, le service des Étrangers s’était transformé au fil des ans, apparemment tout seul et sans intervention extérieure, en une espèce de monstre qui, au cœur de la police judiciaire, se nourrissait du sang de ceux qu’il était censé protéger et dont le but suprême était de tout savoir à tout moment sur quiconque n’était pas franco-français de pure souche.

Les plus somptueux hôtels parisiens et les pensions de banlieue les plus miteuses devaient remettre quotidiennement leurs fiches de déclaration au bureau 205, chaque bureau de placement devait déclarer les étrangers, chaque autorité judiciaire procéder à toutes les déclarations utiles, et tous les délateurs anonymes trouvaient là l’oreille ouverte de fonctionnaires consciencieux qui reportaient soigneusement sur une fiche la moindre calomnie et l’enregistraient ainsi à jamais.

Il y avait des millions de fiches rouges pour l’enregistrement de la population étrangère par rue, des millions de fiches grises pour le recensement par nationalité, des millions de fiches jaunes comportant les informations politiques ; les juifs, les communistes et les francs-maçons étaient inscrits dans des fichiers séparés. Ces fichiers étaient si nombreux qu’il fallait les rassembler dans des fichiers centraux qui, à leur tour, étaient fondus dans un grand fichier général, et tous ces fichiers et registres étaient rangés méthodiquement au bureau 205 dans des dossiers suspendus et des caisses en bois sur des rayonnages hauts jusqu’au plafond et recouvrant tous les murs de la vaste salle de ce bureau.

Dehors, devant la porte du bureau 205, se trouvaient des bancs de bois rutilants sur lesquels avaient usé leurs fonds de culotte, au fil des ans, des centaines de milliers de juifs polonais, de communistes allemands et d’antifascistes italiens, passant là des heures, des jours, des semaines, dans l’attente anxieuse d’entendre leur nom enfin appelé et d’être introduits dans le bureau 205 où un petit fonctionnaire les toiserait d’un regard méfiant par-dessus le bord de ses lunettes, consulterait des fiches rouges et grises et, après avoir longuement froncé les sourcils, daignerait apposer son tampon et, espérait-on, prolongerait son permis de séjour d’une semaine, voire d’un mois.

Notre-Dame sonnait huit heures et demie quand une Citroën traction avant noire vint s’arrêter devant le Quai des Orfèvres. La porte s’ouvrit du côté du passager, le préfet de police de Paris, Roger Langeron, descendit et, par-dessus le toit de la voiture, s’adressa avec un mégaphone à l’armée des hommes qui attendaient.

“MESSIEURS, VOTRE ATTENTION S’IL VOUS PLAÎT. INTERVENTION SPÉCIALE DE TOUS LES FONCTIONNAIRES DE LA POLICE JUDICIAIRE SELON LE DROIT DE GUERRE.

Télécharger

Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.