L'amour en héritage by Louise Walters

Auteur:Louise Walters [Walters, Louise]
La langue: eng
Format: epub
Éditeur: City Edition
Publié: 2020-05-02T16:00:00+00:00

19

Dorothy sourit tout en arrosant le poulet, tué la veille par Nina. Dorothy ne pouvait se résoudre à le faire elle-même, autrefois c’était Albert qui se chargeait de tordre le cou tremblant du volatile. L’année précédente, s’étant retrouvée seule à Noël, elle n’avait pas pris la peine de préparer un repas, mais cette année, elle avait plumé et vidé le poulet qu’elle cuisinait avec grand plaisir. L’odeur qui flottait dans la cuisine était tout simplement divine, il faisait bon dans la maison, le givre dehors adhérait à la campagne environnante comme de la dentelle. Les filles et elle appréciaient la chaleur de leur foyer douillet. Dorothy était bien décidée à tout faire pour que ce jour de Noël soit agréable. En plus du poulet, il y avait des pommes de terre rôties, des « crêpes » du Yorkshire, et du panais du jardin. Mais aussi du porto, une bouteille que Dorothy avait emportée de chez sa mère et qu’elle avait cachée. Pourquoi l’avait-elle prise à l’époque, elle n’aurait pas su le dire. Encore un autre élément de son trousseau préparé à la hâte. Mais cette bouteille prenait tout son sens aujourd’hui. En ce jour de Noël 1940, un jour froid mais calme. Et sans danger, pour l’instant.

Les deux filles en avaient bu deux petits verres chacune et se prélassaient en écoutant leurs chansons préférées de Billie Holiday. Elles avaient aimé les cadeaux que Dorothy leur avait faits : de simples mouchoirs en lin qu’elle avait dénichés au fond de son sac fourre-tout sur lesquels elle avait brodé leurs initiales, puis qu’elle avait repassés et parfumés avec une poignée de lavande ; un foulard en soie pour Aggie que Dorothy ne portait plus ; un rouge à lèvres, à peine entamé, pour Nina. Ce n’étaient pas des cadeaux extraordinaires, mais juste une petite attention pour que les filles trouvent quelque chose au pied du sapin. Elle les avait enveloppés dans du papier kraft et avait utilisé du fil alimentaire en guise de ficelle.

Dorothy était contente qu’il n’y ait pas de cadeaux pour elle. Elle ne les avait jamais aimés. Elle se sentirait obligée de sourire, de dire merci, d’être ravie. Sa mère avait une conception bien particulière des présents : elle lui offrait des livres horribles, comme The Infant’s Progress: From the Valley of Destruction to Everlasting Glory, des livres qu’elle n’avait jamais lus et qu’elle avait cachés sous son lit. Ils y étaient sans doute encore, pensa-t-elle en buvant une petite gorgée de porto. Dorothy se laissait rarement aller à boire de l’alcool. Son exubérance lui faisait un peu peur. Elle aimait trop la sensation de chaleur qui envahissait sa bouche, sa gorge, son œsophage, qui traversait son estomac et descendait jusque dans ses jambes. Elle aimait trop cette sensation d’abandon, de flottement, de flou et d’oubli. Mais elle ne pouvait pas oublier la façon dont Albert s’était comporté avec elle alors qu’il avait trop bu. Elle ne se mettrait jamais dans un tel état, elle ne céderait jamais aux charmes calamiteux de l’alcool.

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