L’arbre de Noël by Michel Bataille

Auteur:Michel Bataille [Bataille, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard
Publié: 1967-12-19T23:00:00+00:00

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On l’a deviné, j’ai décidé de dire à Verdun toute la vérité sur l’état de l’enfant. Je me raconte à moi-même que c’est nécessaire, pour qu’il ne fasse plus, comme tout à l’heure, de réflexion stupide sur l’opportunité d’endurcir Pascal et surtout pour qu’il ne l’entraîne pas à quelque imprudence. Mais bien entendu, ce n’est pas la vraie raison. J’ai besoin de partager ce secret qui m’étouffe, voilà tout.

Il m’étouffe si bien que je deviens de plus en plus insociable. J’ai constamment envie d’être seul. C’est sans doute pour cela que je n’ai pas voulu participer à la pêche. Je suis si mal à l’aise, « mal dans ma peau », comme on dit, qu’après le retour je fuis, j’évite même l’enfant, mon seul souci et l’objet de mes constantes pensées. Et c’est peut-être parce que je pense trop à lui que, pour quelques heures, j’aime autant ne plus le voir. Je charge Marinette de le faire dîner, de veiller à ce qu’il prenne son bain, se couche de bonne heure. Je l’embrasse distraitement, je m’enfuis.

Je me retrouve marchant sur le chemin d’accès au château et parviens au carrefour et à la croix de pierre. Sa vue me bouleverse. Son ancienneté, presque fabuleuse, la grossièreté, la rudesse, la maladresse presque de cet ouvrage s’accordent à mon état. Il paraît que jadis on trouvait des croix à presque tous les carrefours des chemins de France. Presque partout, elles ont disparu. Les pierres trop tendres des plaines – du calcaire en général – ont été usées, délitées par les pluies. Les bras de la croix se sont brisés, puis le pied s’est érodé à son tour et un jour, de lui-même ou par l’agression de la main humaine, le dernier moignon est tombé. Ailleurs, dans les régions riches, le tracé des chemins a changé avec le développement de l’agriculture, et les jalons sacrés ont été brisés. Ailleurs, la Révolution française, grande destructrice d’images, a culbuté les croix restantes. Si l’on en trouve en Auvergne, c’est parce que le pays est pauvre, que le fleuve de l’Histoire n’a pu niveler une terre de montagne, n’est même pas parvenu jusque-là, enfin parce que le roc basaltique est si dur que la pluie et le gel ne l’usent pas.

La croix d’Hérode se dresse à l’angle de deux murs d’appareil grossier, sans mortier, bordant le chemin. Un bloc erratique a été juché, et ses formes arrondies tiennent lieu de socle. La croix est lourde de formes comme un blason templier et le christ de pierre cloué sur la pierre étend ses bras dans une attitude sauvage. On ne dirait pas en effet qu’il est cloué par les mains, les clous supportant son poids. Les bras sont raidis selon une horizontale parfaite : c’est l’attitude d’un homme non pas crucifié mais debout contre un mur – peut-être attendant d’être fusillé –, qui a soudain déployé ses membres, avant de s’élancer dans un assaut désespéré, ou peut-être pour affermir l’éloquence de son dernier discours.

Relativement au corps, les mains

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