La Ville de plomb by Meckert Jean

La Ville de plomb by Meckert Jean

Auteur:Meckert, Jean [Meckert, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Gallimard
Publié: 1948-12-31T23:00:00+00:00


JOURNAL DE MARCEL

LA VILLE DE PLOMB

(Suite.)

Quand on entrait dans ce café on était happé par l’éclairage en tube, laiteux, qui adoucissait les contours et les cernes sous les yeux, nébuleuses des fins de journée.

Gilberte était là. Elle lisait. C’était bien elle, souhaitée tant, attendue depuis le coup de téléphone passé dans l’après-midi. Si nette Gilberte dans la lumière blanche, qui avait relevé la tête à l’ouverture de la porte, n’avait pas souri, avait corné son livre pour marquer la page, et se poussait un peu sur la banquette pour me faire de la place.

J’avais brusquement chaud, de la voir devant moi ; je ne sentais plus le gel.

— Bonsoir ! dis-je à mi-voix.

— Bonsoir, Marcel ! dit-elle. Assieds-toi !

J’étais bien content, et je n’avais plus de mot pour dire, stupide comme un amoureux. Je regardais la table aux ronds mouillés, et puis le bras de Gilberte, en gros drap bleu marine, et puis elle enfin, toujours calme. Le silence devenait chaud, meublé des conversations voisines. Je sentais la main un peu moite de Gilberte dans la mienne. Je voulais aussi l’embrasser, n’osais pas, incertain. Je cherchais son coude, son épaule, passais mon bras à la taille, comme avant, ne voulant pas sentir encore la rigidité d’un corps un peu crispé.

— Ne recommençons pas les bêtises, dit-elle. J’ai de l’estime pour toi, Marcel, mais je ne reviens pas sur ce qui a été dit. Nous deux, ce n’est plus possible !

Oui, j’étais là encore, le bras passé à la taille de la fille qui me parlait d’estime. Engourdi, comme si je ne comprenais pas, je souriais toujours mais ne disais plus rien, ne pressais pas plus avant, demandant au temps de s’arrêter un peu. On aurait pu nous prendre pour de vrais amoureux.

Le garçon vint et dit : qu’est-ce que ce sera pour monsieur ?

— Sais pas !

— Même chose ? dit le garçon en pointant le menton vers le verre de Gilberte où brillait un vin cuit.

— Oui !

Le garçon s’éloigna. Alors je demandai d’une voix basse et écrasée : « Mais qu’est-ce que je t’ai donc fait ? »

— J’ai pensé, dit-elle nettement, qu’il fallait qu’on s’explique bien. C’est pourquoi je suis venue. Tu ne m’as rien fait. Je ne te reproche rien. Mais nous deux, ça ne va pas ! Il ne faut pas m’en vouloir, Marcel.

Le mal descendait en moi, pondéreux comme l’angoisse. Je n’avais rien à dire.

— Avec toi, poursuivit-elle, on ne peut rien bâtir. Tu es trop sentimental, je ne sais pas. Tu es en dehors, un peu. Tu attends de vivre. Tu n’attrapes rien. Tu es gentil, voilà. Tu es bon, même. Tu es bien meilleur que moi. Mais la bonté, Marcel, ça ne sert plus à rien, à notre époque. Ça sert seulement à faire des esclaves.

— Esclave ? Mais je suis fier, Gilberte, tu ne me connais pas. Je suis râleur, même. Je suis bien le contraire d’un larbin, Gilberte. Ce n’est pas bien, et pas vrai, ce que tu dis là !

— Tu es même un révolté, dit-elle, je ne veux pas t’offenser.



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