La Vie des Abeilles by Maurice Maeterlinck

La Vie des Abeilles by Maurice Maeterlinck

Auteur:Maurice Maeterlinck [Maeterlinck, Maurice]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Essai et Chronique, Animaux, Philosophie, Littérature belge, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2020-01-02T00:00:00+00:00


LIVRE IV

LES JEUNES REINES

I

Fermons ici notre jeune ruche où la vie reprenant son mouvement circulaire s’étale et se multiplie, pour se diviser à son tour dès qu’elle atteindra la plénitude de la force et du bonheur, et rouvrons une dernière fois la cité-mère afin de voir ce qui s’y passe après la sortie de l’essaim.

Le tumulte du départ apaisé, et les deux tiers de ses enfants l’ayant abandonnée sans esprit de retour, la malheureuse ville est comme un corps qui a perdu son sang : elle est lasse, déserte, presque morte. Pourtant, quelques milliers d’abeilles y sont restées, qui, inébranlées, mais un peu alanguies, reprennent le travail, remplacent de leur mieux les absentes, effacent les traces de l’orgie, resserrent les provisions mises au pillage, vont aux fleurs, veillent sur le dépôt de l’avenir, conscientes de la mission et fidèles au devoir qu’un destin précis leur impose.

Mais si le présent paraît morne, tout ce que l’œil rencontre est peuplé d’espérances. Nous sommes dans un de ces châteaux des légendes allemandes où les murs sont formés de milliers de fioles qui contiennent les âmes des hommes qui vont naître. Nous sommes dans le séjour de la vie qui précède la vie. Il y a là, de toutes parts en suspens dans les berceaux bien clos, dans la superposition infinie des merveilleux alvéoles à six pans, des myriades de nymphes, plus blanches que le lait, qui, les bras repliés et la tête inclinée sur la poitrine, attendent l’heure du réveil. À les voir dans leurs sépultures uniformes, innombrables et presque transparentes, on dirait des gnomes chenus qui méditent, ou des légions de vierges déformées par les plis du suaire, et ensevelies en des prismes hexagones multipliés jusqu’au délire par un géomètre inflexible.

Sur toute l’étendue de ces murs perpendiculaires qui renferment un monde qui grandit, se transforme, tourne sur lui-même, change quatre ou cinq fois de vêtements et file son linceul dans l’ombre, battent des ailes et dansent des centaines d’ouvrières, pour entretenir la chaleur nécessaire et aussi pour une fin plus obscure, car leur danse a des trémoussements extraordinaires et méthodiques qui doivent répondre à quelque but qu’aucun observateur n’a, je crois, démêlé.

Au bout de quelques jours, les couvercles de ces myriades d’urnes (on en compte, dans une forte ruche, de soixante à quatre-vingt mille), se lézardent, et deux grands yeux noirs et graves apparaissent, surmontés d’antennes qui palpent déjà l’existence autour d’elles, tandis que d’actives mâchoires achèvent d’élargir l’ouverture. Aussitôt, les nourrices accourent, aident à la jeune abeille à sortir de sa prison, la soutiennent, la brossent, la nettoient et lui offrent au bout de leur langue le premier miel de sa nouvelle vie. Elle, qui arrive d’un autre monde, est encore étourdie, un peu pâle, vacillante. Elle a l’air débile d’un petit vieillard échappé de la tombe. On dirait d’une voyageuse couverte de la poussière duveteuse des chemins inconnus qui mènent à la naissance. Du reste, elle est parfaite des pieds à la tête, sait immédiatement tout ce qu’il faut savoir,



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