La sculpture de soi by Michel Onfray

Auteur:Michel Onfray [Onfray, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: philosophie
ISBN: 9782246780359
Google: Jo5yFwfl82MC
Éditeur: Grasset
Publié: 1993-09-21T22:00:00+00:00

Un autre exemple de débauche gastronomique montre la dépense à l'œuvre, à savoir les combats substitutifs chez Charles Fourier qui pensait qu'on pouvait faire de la gastronomie la guerre poursuivie par d'autres moyens. Ainsi économisait-il le sang versé par l'analogon de banquets agoniques. Il s'agit de déterminer de nouvelles politiques par le goût en opposant des clans sous la forme de joutes dont les plats sont l'enjeu. Omelettes soufflées ou fouettées, petits pâtés, vol-au-vent et caves redoutables : cent mille bouteilles de vin mousseux de la côte du Tigre, quarante mille volailles daubées d'une façon nouvelle, autant d'omelettes, cent mille punchs d'ordre mixte selon les Conciles de Siam et Philadelphie. Par ailleurs, pour remplacer les canonnades et les odeurs de poudre, du moins les risques réellement encourus, Fourier propose qu'on débouche trois cent mille bouteilles de champagne pour n'avoir affaire qu'à ce type d'explosion conviviale. Une autre façon de faire de la diplomatie...

Quoi qu'il en soit, l'intermède alimentaire permet de voir l'intérêt d'une dépense médiatisée par la culture, en l'occurrence l'éthique. Héliogabale déchaîne la part maudite, mais ne sait, ni ne veut – donc ne peut – la contenir. On ne sollicite pas la dépense sans réveiller des monstres qui, lâchés seuls et sans retenue aucune, finissent, tôt ou tard, par produire des ravages. L'Empereur a libéré la furie qui l'a emporté. A sortir de sa tanière une pareille bête, il y a intérêt à connaître la nécessité d'une limite, d'une contention. Sous peine de ravages indicibles. Les morales de l'idéal ascétique n'entendent pas domestiquer l'animal, car le risque est toujours grand d'avoir à souffrir de ses foucades : elles préfèrent purement et simplement l'abattre, le tuer. Perinde ac cadaver, voilà la seule façon. En revanche, la morale hédoniste vise la maîtrise et ne souhaite absolument pas l'éradication de la part maudite. Sans volonté éthique et morale de poser règles et limites, lois et devoirs, la dépense est immonde : Héliogabale ou Sade la montrent sans protection, sans filet. Leur monde est invivable. Tous deux sont des extrémités sans bornes, des figures de l'autophagie, des promesses de néant. Le nihilisme doit être dépassé. Seule une éthique hédoniste, qui laisse une place à autrui, montre laquelle, et en organise les conditions de possibilité, peut se permettre d'en appeler à la dépense. Sans cela, il n'est que destins infernaux.

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