La rose est sans pourquoi by Jean-Paul Ceccaldi

Auteur:Jean-Paul Ceccaldi [Ceccaldi, Jean-Paul]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-02-03T13:25:19.754000-04:00 JF
Éditeur: Nouvelles Lectures
Publié: 2015-03-13T03:00:00+00:00

Chapitre 33

Je suis dans l’attente de petits riens qui feraient avancer l’enquête, mais le rien tout seul reste insignifiant. Je sais d’instinct qu’il est prétentieux de penser trouver une solution simplement en mettant en rapport des petites choses insignifiantes au premier abord. Il serait peu réfléchi d'en vouloir déduire une vérité, en négligeant toutes les additions fortuites. Ni empirisme, ni rationalisme exagérés donc ! Il faut rester ouvert à la nature changeante de la réalité sans vouloir la transformer à sa convenance, en se renfermant dans un schéma de pur calcul. Cette réflexion me renvoie aux principes de Carl von Clausewitz{20} : supériorité de la guerre défensive, nécessité de la destruction des forces ennemies, fonction de la guerre comme continuation de la politique avec d'autres moyens. Le dernier meurtre est une déclaration de guerre. Face à ce tueur qui agit comme un sniper, il me faut réagir comme un stratège militaire. Si je suis en danger, il me faut livrer une guerre défensive pour détruire l’ennemi. Il faut que je continue mon enquête par d’autres moyens à inventer et ne pas attendre un coup de chance dans une procédure jusque-là infructueuse. Je ne peux pas éviter les déductions et les supputations. Je ne résiste jamais à la tentation de la démarche intellectuelle pour trouver des suspicions qui peuvent être démenties par des preuves. À la fin, je ne devrai rien inventer, car ce n’est pas moi qui écris le scenario. Je tente simplement de le décrypter. J’avance pas à pas et reviens en arrière s’il le faut.

Une enquête criminelle n’est pas fréquemment linéaire comme certains polars, car les pistes apparaissent multiples. Les changements d’avis et les rétropédalages ne sont pas rares. Habituellement, les investigations se font à contre-courant puisqu’elles commencent à la découverte du crime et remontent dans le temps pour comprendre et identifier le ou les coupables.

Aujourd’hui, je dois changer la routine et anticiper sur le prochain assassinat qui pourrait devenir le mien. Il me faut sortir des tâtonnements et des fausses pistes pour tendre un piège au tueur.

L’un de nous deux doit mourir mais, pour ma part, je n’utiliserai pas mon flingue et je veux sa mort, non par un de ces moyens vils que lui-même est réduit à employer, mais par l'explosion de la vérité{21}.

Comme le commun des mortels, je souhaite vivre le plus longtemps possible, mais je ne me pose pas la question : pourquoi ? Le pourquoi semblait tarauder la conscience du tueur. Dans son journal, il se demande pourquoi il est méchant sans renoncer à son œuvre criminelle. L’absence de réponse au pourquoi vivre n’empêche pas de vivre, mais peut tuer par suicide, ou par assassinat lorsque ce pourquoi est transféré par le tueur sur ses victimes.

Je me dis que mon raisonnement ontologique pourrait séduire un intello de la psychologie masturbatoire ou faire marrer un mec intelligent. Pourquoi m’interroger sur le pourquoi alors que, dans une affaire criminelle, le policier peut se contenter de répondre aux questions « Qui, Quand, Où et Comment ? », en rassemblant les indices et les preuves.

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