La petite boutique aux poisons by Penner Sarah

Auteur:Penner, Sarah [Penner, Sarah]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Faubourg-Marigny
Publié: 2021-10-11T22:00:00+00:00

***

Dans les douze minutes qui précédaient l’arrivée de Lady Clarence, un orage terrible s’abattit sur la ville. Mais je le remarquai à peine, tant nous étions occupées à piler aussi fin que possible les insectes dans nos mortiers.

Si Nella avait eu l’intention de me renvoyer avant le retour de Lady Clarence, ce n’était plus qu’une pensée lointaine à présent. Il lui aurait été impossible de terminer sa tâche sans moi. Quand il ne resta plus que six minutes, Nella me demanda de choisir un contenant, n’importe quel pot de la taille appropriée. Elle garda la tête baissée, les yeux concentrés alors que de la sueur perlait sur ses avant-bras mobilisés par le pilon.

À 13 h 30 tapantes, Lady Clarence arriva. Aucunes civilités ne furent échangées à son arrivée. Quand elle pénétra dans la pièce, ses lèvres étaient pincées en une fine ligne et ses épaules raides.

— C’est prêt ? demanda-t-elle.

Des gouttelettes de pluie ruisselaient sur son visage comme des larmes.

Pendant que Nella balayait sous la table, j’avais versé avec précaution le reste de la poudre dans un pot en terre cuite ocre déniché au fond d’un petit placard du buffet. Je venais de boucher le pot et son couvercle était encore tiède entre mes doigts quand Nella répondit :

— Oui.

Très délicatement, je remis le pot à Lady Clarence. Elle le serra aussitôt contre sa poitrine et le fit disparaître sous son manteau. Malgré l’identité de la victime – ma loyauté n’était pas aussi radicale que celle de Nella –, je ne pus m’empêcher de ressentir un certain orgueil lié aux heures investies dans la préparation. Je n’avais jamais été si fière, pas même après avoir rédigé des lettres particulièrement longues pour le compte de Mrs Amwell.

Lady Clarence remit un billet de banque à Nella. Je ne pus en lire le montant, d’ailleurs, ça ne m’intéressait pas.

Alors qu’elle s’apprêtait à partir, Nella s’éclaircit la gorge.

— La fête a toujours lieu ce soir ? demanda-t-elle.

Dans sa voix, il y avait un soupçon d’espoir et je me doutais qu’elle espérait que toute cette histoire ait été annulée à cause de l’orage.

— À votre avis, est-ce que j’aurais perdu mon temps à venir jusqu’ici sous la pluie si ce n’était pas le cas ? rétorqua Lady Clarence. Oh, ne faites pas cette tête. Ce n’est pas à vous que je vais demander de mélanger le poison à la liqueur de Miss Berkwell.

Elle retroussa les lèvres et ajouta :

— J’espère seulement qu’elle la boira vite, qu’on en finisse.

Nella ferma les yeux, comme si ces mots lui donnaient la nausée.

Après le départ de Lady Clarence, Nella s’avança lentement vers la table où j’étais installée, se baissa pour s’asseoir et tira le registre vers elle. Elle trempa la plume dans l’encre avec une torpeur inédite, comme si l’épuisement des dernières heures la rattrapait enfin. Elle avait procuré un nombre incalculable de remèdes empoisonnés et pourtant celui-ci pesait si lourd sur son cœur ! Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi.

— Nella, il ne faut pas vous en vouloir. Elle vous aurait ruinée si vous n’aviez pas préparé les scarabées pour elle.

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