La nuit des trente by Metzger Éric

La nuit des trente by Metzger Éric

Auteur:Metzger, Éric [Metzger, Éric]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-06-29T03:00:00+00:00


« Un Perrier s’il vous plaît. »

Se réhydrater pour préparer le lendemain. Une manière comme une autre de s’offrir une bonne conscience. Un Perrier, et encore un autre ensuite. Comme ça, demain, il sera en bon état, fatigué peut-être, mais pas de bobo la tête.

« Pff, soupire-t-il soudain. Ça va me servir à quoi d’être en bon état ? » À vingt ans, il n’aurait jamais eu ce souci. Pas besoin de boire de l’eau avant de se coucher, à l’époque il encaissait tellement mieux. C’était hier encore.

Sur son téléphone, dans un excès de mélancolie, il part à la recherche du fantôme sur Internet. Ça lui prend des fois. Il suffit d’un petit moment d’abandon, et le voilà qui tape son nom et son prénom dans la barre de recherche, pour obtenir à chaque fois le même résultat : une photo. Là, le fantôme se matérialise en un visage. Avec un nez, une bouche, des yeux, comme tout le monde. Mais cet ensemble s’harmonise avec une telle grâce ! Oh ! pourquoi es-tu partie ?

Le cliché commence à dater. Devant un bar parisien, avec des amies, sourire gai sur les lèvres. Plusieurs fois, à l’époque déjà, il avait tenté de découvrir où se situait ce bar. Sans succès. Il n’avait pas non plus trop cherché. C’était ça le nœud du problème d’ailleurs. En réalité, il avait toujours reculé sans jamais s’élancer, reportant à « plus tard » la conquête du fantôme. Plus tard, toujours plus tard. D’abord besoin de grandir, de devenir quelque chose, de s’affirmer. Trente ans. « Et qu’est-ce qui t’empêche de faire cette conquête maintenant justement ? », question rhétoralcoolique. Bien entendu, tout l’en empêche. Le fantôme vit loin. Elle a fait sa vie, a trouvé son équilibre. S’il devait débarquer la bouche en cœur et lui dire « Allez viens ! », comment réagirait-elle ? Bah ! il le savait d’avance. En secret, il a déjà fait le voyage une fois. Il y a trois ans. Il lui avait même écrit, expliquant qu’il était dans les parages pour des raisons professionnelles, et qu’il serait heureux d’en profiter pour boire un café avec elle, à l’occasion, si elle pouvait. Sans réponse. Comme il ne savait pas précisément où elle habitait dans la grande ville, il avait marché au hasard des rues, comptant sur le cynisme du destin. Échec. Trébuchant sur ses espoirs, il était retourné en France comme un imbécile. Ces quelques jours seul l’avaient détruit. Pourquoi ne lui avait-elle pas donné de nouvelles ? Comme il ne voulait pas accepter l’idée qu’elle puisse simplement l’ignorer et se moquer de lui, il avait fini par tout mettre sur le dos du social. Par cette idée de social, il accusait en réalité les obligations du quotidien. Après tout, elle ne pouvait pas abandonner sa vie aussi facilement. Le social est trop puissant dans ces cas-là, il l’emporte sur tout ; et tant pis pour les regrets. Prisonnière des cordes du quotidien. C’est puissant un quotidien, c’est rassurant, ça permet de ne pas trop penser, de se dire qu’on a une vie.



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