La Nuit de Zelemta - Serif by René-Victor Pilhes

Auteur:René-Victor Pilhes
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2016-09-11T04:00:00+00:00

Jean-Michel avait révélé ses relations avec Abane le soir même de son arrivée. Après l’interrogatoire affectueux mais en règle sur ses prouesses lycéennes et des considérations générales sur l’organisation future de ses études de droit à Toulouse, en particulier son logement (studio dans la ville rose ou possible installation chez sa tante en une sorte de demi-pension, il fallait seulement une petite demi-heure en bus, cette dernière solution étant assurément la moins onéreuse pour eux, mais peut-être aussi trop astreignante pour un jeune homme de 19 puis 20 ans, terme des deux années nécessaires à l’obtention de la licence en droit), puis, après les taquineries inévitables sur « la belle d’Albi », Jean-Michel, quoique assez fatigué par le voyage, tint à se délester au plus tôt de ce qu’il commençait à ressentir comme un fardeau et leur expliqua brièvement les circonstances de sa rencontre avec le détenu algérien, lançant à son père en s’efforçant d’en rire :

— Il m’a dit que tu l’avais arrêté ici, à Aïn-Témouchent, il y a 3 ans, et que c’est toi qui l’avais envoyé en prison !

Le père Leutier s’attendait à tout sauf à ça.

— Qu’est-ce que cet Abane vient faire là-dedans, murmura-t-il entre ses dents et en regardant ailleurs, après quoi, passant une main dans ses cheveux et plissant le front, il poursuivit d’une voix étrangement égale : Abane, oui, Abane Ramdane, un dangereux pistolet, je l’ai arrêté, lui et quelques compères, au cimetière chrétien, à El Makkaba, sur renseignements, il bourrait le crâne d’une trentaine d’Arabes autour d’un feu, on avait procédé avec sang-froid, à la professionnelle, sans précipitation, on l’avait encerclé après s’être assuré qu’il n’y avait pas de chiens autour de ce bivouac, et avant de l’appréhender on l’avait écouté un moment discourir à voix basse mais audible, il leur faisait miroiter une Algérie indépendante mais aussi, avant, du sang, de la sueur et des larmes, comme si Churchill pouvait être un exemple pour ce type-là, il leur avait distribué des paquets de tracts avec écrit dessus : « s’armer, se préparer, s’entraîner »… Cet Abane Ramdane n’était pas de chez nous, c’était un Kabyle, il avait sévi à Sétif, un trublion, un agitateur, membre du Parti Populaire Algérien, mais un trublion dangereux, j’appris plus tard qu’il appartenait à l’OS, l’Organisation Spéciale du PPA clandestin, chargée des actions violentes, d’aménager des caches d’armes, de monter des attentats, nous ne l’avions gardé que la nuit, les autorités aussitôt prévenues l’avaient exigé tout de suite pour l’interroger, elles sont même venues le chercher à l’aube après nous avoir recommandé de ne pas le lâcher d’un bail, ils ont été embarqués dans deux fourgons, lui et tous les autres, on m’a informé par la suite que c’était sans doute le chef des terroristes d’Oranie, quoique kabyle, en fait il était l’un des patrons d’un complot puisque, un peu partout, en avril, je crois, on découvrit dans le Constantinois des dépôts d’armes, des plans, des opuscules sur les méthodes de guérilla, et, en Algérois, des

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