La Noël aux prunes by Jean Anglade

La Noël aux prunes by Jean Anglade

Auteur:Jean Anglade [Anglade, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Literary, Small Town & Rural
Éditeur: Presses de la Cité
Publié: 2019-11-13T23:00:00+00:00


Entre les murs austères de l’Ecole Normale, on était peu au courant des difficultés politiques, économiques ou militaires qui secouaient le régime du dictador. Manolo avait trop à faire avec la pédagogie théorique et pratique, la philosophie, la sociologie et la clé de fa pour se soucier des problèmes du monde. Lorsqu’il sortait dans la rue, la population madrilène, les titres des journaux le renseignaient superficiellement. A la vérité, ils commentaient surtout des faits divers, mariages, suicides, inondations et surtout vols à main armée, de plus en plus nombreux sous un régime corrompu, bouffon et sans autorité réelle. Une bande en vint même à détourner l’express d’Andalousie tout entier, qui disparut de la circulation entre deux gares ; quand on le retrouva, trois heures après, il était plein d’hommes et de femmes plus ou moins nus, dépouillés de leurs vêtements, de leurs bijoux et de leurs montres.

Enfin le roi parut se décider à sortir de l’enfance et à renvoyer son encombrant tuteur. En février 1930, Primo de Rivera quitta l’Espagne. Un mois plus tard, la police parisienne le découvrit mort rue du Bac, dans une chambre de l’hôtel Pont-Royal. Naturellement, la cause de sa mort ne fut point publiée. Alphonse XIII l’avait remplacé par le général Berenguer, commandant les hallebardiers de sa Garde.

Disparu le dictador, la dictadura continua sous une forme adoucie, en sorte qu’on ne parlait plus que de dictamolle. Poussé par le général-hallebardier, don Alphonse révisa les décrets qu’il avait signés précédemment à l’instigation du général-marquis. Une amnistie fut proclamée, des émigrés politiques rentrèrent, des prisonniers furent élargis, les conférences et les meetings autorisés. Comme il arrive toujours aux régimes tyranniques lorsqu’ils se relâchent, ces amollissements ne valurent au monarque aucune sympathie, ni de ses partisans ni de ses adversaires. Les premiers souhaitaient l’abdication d’un prince aussi inconsistant, son remplacement par l’un des successeurs prévus, même s’il s’agissait de l’infant hémophile à qui une piqûre d’épingle pouvait être fatale. Les seconds réclamaient à cor et à cri la République. La Catalogne et le Pays basque reprirent leur agitation. Les syndicats fomentèrent des grèves. L’écrivain José Ortega y Gasset, directeur de la Revista de Occidente et auteur d’un ouvrage déjà scandaleux, Espagne invertébrée, publia un article violent avec ce mot d’ordre : Delenda est Monarchia.

Calle ancha San Bernardo, la promotion 26-30 acheva ses études au milieu de cette fermentation. A partir de juin, les normaliens commencèrent de porter la casquette à tour de rôle en débutant par le dernier de la liste alphabétique, Zaranda, en finissant par le premier, Aguir. Il s’agissait d’une casquette de jockey à coiffe ronde sur laquelle ils épinglaient chaque matin et à reculons de 50 à 1 des chiffres dorés précisant le nombre de jours qui les séparaient de leur libération. Sa pointure avait été choisie selon la plus grosse tête ; les têtes plus étroites devaient s’en accommoder en ajoutant des rembourrages.

Les examens terminaux se déroulèrent dans la fièvre et la chaleur. Les professeurs transpirants allaient se désaltérer parfois dans la salle qui leur était réservée à des alcarazas remplis de citronnade.



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