La mémoire n'en fait qu'à sa tête by Bernard Pivot

La mémoire n'en fait qu'à sa tête by Bernard Pivot

Auteur:Bernard Pivot [Pivot, Bernard]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2017-01-15T00:00:00+00:00


De la beauté des écrivains

Witold Gombrowicz : « Le Clézio m’a rendu visite avec sa femme peu après mon arrivée à Vence et m’a fait la meilleure impression, sérieux, intelligent, sincère. Concentré, presque tragique (il a vingt-sept ans). Très beau et plus encore photogénique… », Journal, tome II, 1967.

Gombrowicz a trouvé Le Clézio si beau qu’il se demande si ce « venin » ne sera pas préjudiciable à sa carrière d’écrivain. D’autant que sa femme est « mignonne aussi », qu’ils roulent dans une petite voiture de sport et qu’ils habitent à Nice une place nommée Île-de-Beauté ! « Ses romans baignent dans les ténèbres impénétrables d’un désespoir absolu tandis que lui-même, jeune dieu en maillot de bain, plonge dans l’azur salé de la Méditerranée. » De cette mortelle contradiction Gombrowicz pense que seul le rire pourra sauver Le Clézio.

S’il l’a oubliée, cinquante ans après la fausse prophétie de l’écrivain polonais arrachera au moins un sourire à l’auteur de Chercheur d’or.

Il est vrai que la beauté de Le Clézio – physique d’acteur américain, blond, grand, viril, visage lumineux, voix grave – participe plus que pour tout autre de son image, de sa réputation, de ce que nouent ensemble sur le petit écran la tête de l’écrivain et la couverture de son livre. Après chacun de ses passages dans mes émissions, deux tête-à-tête notamment, pas un téléspectateur qui ne me disait le lendemain : « Qu’est-ce qu’il est intelligent ! Qu’est-ce qu’il est beau ! » Parfois, dans l’ordre inverse.

Je ne crois pas lui avoir demandé comment il vivait avec son corps et s’il s’accommodait de sa beauté. Alliée ou rivale de son talent d’écrivain qui seul lui importait ? Séduction dont il aurait aimé être privé pour ne devoir son prestige qu’à ses livres ? Bonus qui n’était qu’un héritage alors que c’est de son travail avec les mots qu’il a été récompensé par le prix Nobel de littérature.

Ayant refusé pendant de nombreuses années de paraître à la télévision et même de se laisser photographier, Le Clézio n’a jamais misé sur son image pour faire la promotion de ses livres. Depuis que, pour Désert, en 1980, il a enfin accepté une invitation à Apostrophes, il ne s’est guère répandu sur le petit écran (mémorable présence à La Grande Librairie le soir de son prix Nobel). Il a pourtant magnifiquement vieilli, avec je ne sais quoi de fragile ou d’énigmatique.

Avant qu’il perde ses cheveux, Michel Tournier était lui aussi très beau, en particulier sur les photos où son sourire était craquant. Il n’aimait pas, gêné ou ironique, qu’on le complimente là-dessus. Ça n’ajoutait ni ne retranchait rien à ses livres, mais il retournait vite la photo comme si elle représentait une intrusion dans sa secrète vie privée. Il avait pourtant été le producteur et animateur d’un magazine télévisé sur la photographie, Chambre noire. Les grands photographes de l’époque étaient ses amis. Craignait-il d’être accusé de s’être servi de leurs reportages et voyages ensemble pour faire profiter son image de leur talent



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