La Maison muhammadienne by Claude Addas

Auteur:Claude Addas
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-06-14T16:00:00+00:00

C’est ce qu’entend démontrer le bref opuscule dont il va être question dans les pages qui suivent, le Qâb qawsayn de ‘Abd al-Karîm al-Jîlî. D’innombrables textes appartenant à la littérature du soufisme traitent de l’ittibâ‘ al-nabî, tant il est vrai que, outre qu’elle appartient au patrimoine commun de la umma et participe de la genèse même de l’islam, l’idée de l’exemplarité du Prophète est au cœur de la démarche des spirituels musulmans. Si mon attention s’est portée sur ce texte c’est qu’il constitue, sur cette question, un document remarquable à bien des égards. Cela ne signifie aucunement, disons-le d’emblée, que la doctrine qu’y professe l’auteur soit foncièrement novatrice, loin s’en faut.

« J’ai été envoyé pour parfaire les nobles caractères6 », énonce un hadîth médité, bien avant ce XIVe siècle en lequel vécut Jîlî, par des générations de soufis. Plus qu’une manière de vivre, le modèle prophétique constitue à leurs yeux une manière d’être : exemplaire dans son attitude extérieure, l’Envoyé de Dieu l’est aussi, a fortiori, dans son attitude intérieure, celle qui caractérise sa relation à Dieu et le qualifie comme le plus parfait des serviteurs que la terre ait jamais portés et, par voie de conséquence, comme le paradigme insurpassable de la sainteté7.

Il importe en effet de rappeler que, dans la perspective qui est celle de la tradition mystique musulmane, ce n’est qu’en assumant pleinement sa condition de « serviteur de Dieu » (‘abd), qui est sienne de toute éternité, que l’homme est à même d’actualiser ce théomorphisme que lui confère, à l’état virtuel, son statut originel d’imago Dei et, partant, de réaliser le plus haut degré de sainteté, celui où il est véritablement le miroir sans tache en lequel Dieu contemple Ses Noms. La palingénésie, autrement dit la restauration de l’Homme Primordial, impose en effet le renoncement le plus radical à toute volonté propre, à toute prétendue autonomie jusqu’à dissiper toute trace de l’ego qui, en l’homme déchu, fait écran au « Je » divin.

C’est donc dans l’obéissance la plus nue aux prescriptions divines qu’éclôt la théomorphose. Asservi de tout son être à la Loi divine qui, à chaque instant et en toutes circonstances, lui dicte sa conduite, le saint assume en acte les « nobles caractères », lesquels ne sont rien de moins que les caractères divins que tout homme a reçus en partage à l’aube de la Création et dont le Prophète est, selon les maîtres du tasawwuf, l’épiphanisation pleine et entière. « Son caractère, c’était le Coran », affirmait à son propos son épouse A’isha. D’où Ibn Arabî conclut : « Celui qui, n’ayant pas vécu à l’époque du Prophète, désire le voir, qu’il contemple donc le Coran, car il n’y a aucune différence entre le fait de le contempler et le fait de contempler l’Envoyé de Dieu. C’est comme si le Coran avait pris une forme corporelle sous le nom de Muhammad b. Abd Allâh8. » En d’autres termes, ce que le Coran, parole de Dieu, exprime sous forme de Livre, le Prophète le

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