Alamut by Bartol Vladimir

Auteur:Bartol, Vladimir [Bartol, Vladimir]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. étrangère, Historique, Aventure
Publié: 1988-02-06T05:00:00+00:00

CHAPITRE XI

Dans les jardins, les préparatifs étaient terminés. Les jeunes filles s’étaient distribué les tâches conformément aux directives du chef suprême. Les eunuques avaient dirigé Fatima et Suleïka avec leurs compagnes vers les jardins qui leur étaient assignés. Fatima s’était vu confier pour royaume les bosquets situés à gauche de leur logis, Suleïka régnait sur ceux que l’on pouvait voir de l’autre côté. Chacune avait pour elle un véritable parc indépendant séparé des jardins du centre par des ruisseaux cascadants. On avait d’évidence conçu les plans de ce vaste domaine, dont le Chah Rud formait la mugissante frontière, de façon que les voix ne pussent guère s’entendre d’un espace à l’autre.

Autour des pavillons, les eunuques, avec l’aide des jeunes filles, avaient tendu des guirlandes au milieu des arbres et des buissons et y avaient suspendu les lanternes confectionnées le matin. Celles-ci présentaient les formes les plus variées et l’on avait mis à les peindre et à les colorier la plus grande fantaisie, de sorte qu’à la nuit tombée, quand les hôtesses du lieu eurent fini de les allumer, des formes et des ombres nouvelles, baignant dans une lumière d’outre-monde, s’animèrent soudain autour d’elles, peuplant de leur présence un paysage brusquement changé. Les jeunes filles déambulaient dans cet espace en se dévisageant avec émerveillement, admirant au passage leurs silhouettes aux couleurs mouvantes sur lesquelles dansaient des ombres arachnéennes : oui, tout cela avait l’aspect irréel et fantomatique d’un rêve, et l’impression s’en trouvait encore soulignée par l’épaisse obscurité qui cernait les zones de clarté et qui par contraste masquait entièrement le reste du paysage, escamotant les montagnes le château et jusqu’aux étoiles.

Au centre des pavillons tapissés de fleurs, un jet d’eau murmurant faisait scintiller dans l’air mille perles irisées. Des plateaux d’or et d’argent offrant au visiteur toutes sortes de mets attendaient sur de petites tables basses de bois doré : oiseaux rôtis, poissons passés à la friture, gâteaux dressés avec art et toutes les variétés de fruits – figues et melons, oranges, pommes et pêches, raisins en lourdes grappes… Sur chaque table enfin, six grandes cruches de vin avaient été disposées, encadrées par des jattes d’hydromel !

À l’heure de la dernière prière, Adi accompagna Apama pour un ultime tour de jardin : rien n’échappait à l’œil vigilant de la vieille matrone. Elle en profita pour distribuer ses dernières consignes. À Myriam, à Fatima, à Suleïka, elle remit deux pilules soporifiques destinées, leur expliqua-t-elle, à leurs hôtes : la seconde pour le cas où la première n’agirait pas assez vite. Avant de se retirer, elle leur délivra encore cette recommandation :

— Ne donnez pas à ces jeunes gens l’occasion de poser trop de questions. Occupez-les, mais surtout enivrez-les… Et n’oubliez pas : Seïduna est juste mais sévère !…

Sur quoi elle les quitta et les responsables de chaque groupe, sentant l’heure approcher, en profitèrent pour inviter leurs camarades à se verser chacune une coupe de vin afin de se donner du courage…

Le groupe le plus animé était celui de Fatima : autour

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