La mère à côté by Thael Boost

La mère à côté by Thael Boost

Auteur:Thael Boost [Boost, Thael]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Anne Carrière
Publié: 2022-05-13T00:00:00+00:00


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Je crois que cette maladie de l’oubli, au-delà de ses manifestations physiques et bien réelles, t’empêche d’affronter la peur du néant. Le gouffre béant d’une mort qui se rapproche à grands pas. L’augmentation de l’espérance de vie repousse les limites mais résume l’existence à un seul état, être vieille. La personne âgée est déjà morte pour la société, elle encombre, la famille s’en éloigne, les politiques la réduisent à une équation logistico-­financière. Bien sûr, il y a des résistants, des remariages passé quatre-vingts ans, des divorces de retraite, des maisons des Babayagas, des traitements de plus en plus efficaces pour tous les maux, des résidences services, des assistants médicaux, paramédicaux, culturels, digitaux, familiaux.

La grande majorité silencieuse doit se contenter d’une vie au rabais, transformant ce délicieux boudoir de la vieillesse où l’on pourrait s’installer pour discuter, lire et évoquer les souvenirs en antichambre de la mort. Comment, dans ces conditions, ne pas avoir envie de s’échapper ? Comment, dans ces conditions, ne pas chercher à prendre la tangente pour un monde flou et onirique dans lequel le passé prend le dessus sur le présent, offrant un éternel recommencement et permettant de se glisser dans l’inconscience du temps qui s’écoule ?

Quand tu étais encore vaillante et déterminée, nous luttions beaucoup l’une contre l’autre. Je n’avais pas ouvert les yeux sur cet état de fait : moi, ta propre fille, je cherchais, en t’aidant pour tout, à te faire renoncer, à t’enlever le peu de libre arbitre dont tu disposais toujours. Je n’avais pas compris qu’en cherchant à te soulager, j’effaçais moi aussi la femme pour laisser toute la place à la vieille. Toi, ma propre mère, tu cherchais à me faire entendre raison, par tes moyens détournés habituels. Je croyais refuser de te voir vieillir alors qu’en réalité je t’empêchais presque de continuer à vivre. Je croyais appliquer ta méthode consistant à s’adapter à toutes les situations, et il faut dire qu’elle nous a bien servi pour s’occuper d’une hernie, de la cataracte, du cancer des deux seins puis des os. J’admirais et j’admire toujours ce courage qu’il t’a fallu pour supporter toutes ces épreuves, comme si la mort de Papa avait déclenché les festivités et que la vie s’était acharnée sur toi durant dix ans. J’admirais que tu sois toujours aussi forte pour faire face courageusement dans la tempête.

Tu as franchi un cap important, quitter l’appartement dans lequel vous aviez vécu ensemble plus de trente ans, j’étais soulagée, je pourrais ainsi être présente au quotidien, instaurer une nouvelle vie de famille, prendre soin de toi. Et d’une certaine façon, c’est ce qui s’est passé. Mais je n’ai compris que tard à quel point tu pouvais avoir peur. Je me suis beaucoup énervée quand tu mentais, me mentais. Je voulais juste que tu me fasses confiance, je voulais être ta tutrice, ta bouée. Je voulais que tu me cèdes un peu, je crois. Comment pouvais-je exiger pareille chose, ta propre enfant, moi l’accident, celle que tu as voulu garder quand tout



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