La longue veille by Suzy Arnaud-Valence

La longue veille by Suzy Arnaud-Valence

Auteur:Suzy Arnaud-Valence [Arnaud-Valence, Suzy]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE 10

Il leur fallut deux pleines semaines pour construire leur cabane, et ce que furent ces seize jours ils n’auraient jamais osé l’imaginer. Il y eut le froid, les ours, la fatigue écrasante, la faim, les accidents… Il y eut le découragement, l’envie de se coucher sur la neige et de ne plus se réveiller, le désir insensé de partir coûte que coûte, la nostalgie d’une maison claire au bord des canaux, avec des fleurs aux fenêtres, et un verger plein de cerises… Ils n’auraient pas su dire ce qui les poussa à continuer, mais ils continuèrent. Ils travaillaient avec un acharnement désespéré, comme si le seul hommage qu’ils pouvaient encore rendre à leur navire était d’employer son bois à une œuvre utile.

Plusieurs eurent les mains à vif dès le premier soir : le froid était tel que la peau restait collée au métal des outils. Ils établirent des équipes de roulement mais, lorsque tous en furent au même point, ils apprirent à travailler avec les doigts emmaillotés de bandages.

Peu après, ils commencèrent à craindre pour leurs yeux. À demeurer sans protection dans le vent glacé, ceux-ci s’injectèrent de sang puis se mirent à suppurer. Peter eut peur que certains perdent la vue. Mais ils se fabriquèrent des masques et reprirent leur labeur de forçats.

Alors, les malheurs se succédèrent : Hans eut le pied écrasé sous une poutre. Lucas fit une mauvaise chute. Le réchaud de Mathias mit le feu à l’abri provisoire qui servait de cuisine, et le vent et le manque d’eau transformèrent en catastrophe ce qui n’aurait pu être qu’un accident bénin ; Mathias et Botrel eurent les mains brûlées en pure perte : on ne put rien retirer du brasier, ni le réchaud, ni les quartiers d’ours, ni le dernier chaudron de graisse… Le surlendemain, le brouillard les contraignit à deux jours de repos forcé : ils ne voyaient même plus leurs mains… Et puis ce fut la bruine. Légère et glacée, elle ne parvint même pas à entamer la croûte de gel mais éteignit définitivement les dernières couleurs de leur monde pâle.

Ils étaient tellement fatigués, que, le soir venu, ils ne pouvaient dormir. Dans le réduit conservé à l’avant de la Belle-Espérance, ces heures d’attente étaient peut-être pires que les autres. Serrés les uns contre les autres pour tenter de se réchauffer, ils s’usaient les nerfs à guetter le jour. Mathias ronflait comme un soufflet de forge. Botrel remuait sans cesse, cherchant en vain une position plus confortable. Le vent hurlait dehors et le froid faisait éclater les cristaux de glace collés à la paroi mince de l’abri… Ils s’endormaient quand perçait l’aube grise, et c’était en somnambules qu’ils travaillaient tout au long de la journée morne.

Si encore ils n’avaient pas eu faim ! Mais ils fournissaient un effort trop grand pour se contenter de pain moisi, de fromage et d’un peu de viande d’ours. Leur vin était gelé et leur cervoise aigre. Les moins gourmands se prenaient à rêver de salade verte, de fruits juteux, de légumes frais…

Peter se demandait souvent comment ils tenaient encore.



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