La Gloire de mon père by PAGNOL Marcel

La Gloire de mon père by PAGNOL Marcel

Auteur:PAGNOL Marcel
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions de Fallois
Publié: 2014-02-15T00:00:00+00:00


VERS le 10 août, les vacances furent interrompues, pendant tout un après-midi, par un orage, qui engendra, comme c’était à craindre, une dictée.

L’oncle Jules, dans un fauteuil près de la porte vitrée, lisait un journal. Paul, accroupi dans un coin sombre, jouait tout seul aux dominos, c’est-à-dire qu’il les plaçait bout à bout, au hasard, après des réflexions et des soliloques. Ma mère cousait près de la fenêtre. Mon père, assis devant la table, tout en aiguisant un canif sur une pierre noire, lisait à haute voix, en répétant deux ou trois fois chaque phrase, une histoire incompréhensible.

C’était une homélie de Lamennais, qui racontait l’aventure d’une grappe de raisin.

Le Père de Famille la cueillait dans sa vigne, mais il ne la mangeait pas : il la rapportait à la Maison, pour l’offrir à la Mère de Famille. Celle-ci, très émue, la donnait en cachette à son Fils, qui, sans rien en dire à personne, la portait à sa Sœur. Mais celle-ci n’y touchait pas non plus. Elle attendait le retour du Père, qui, en retrouvant la Grappe dans son assiette, serrait toute la Famille dans ses bras, en levant les yeux au Ciel.

Le périple de cette grappe s’arrêtait là, et je me demandais qui l’avait mangée, lorsque l’oncle Jules replia son journal, et me dit sur un ton grave :

« Voilà une page que tu devrais apprendre par cœur. »

Je fus indigné par cette proposition agressive d’un travail supplémentaire, et je demandai :

« Pourquoi ?

– Voyons, dit l’oncle, tu n’as donc pas été touché par le sentiment qui anime ces humbles paysans ? »

À travers la vitre, je regardais tomber la pluie, qui vernissait en noir les branches du figuier, et je mordillais mon porte-plume.

Il insista :

« Pourquoi cette grappe a-t-elle fait le tour complet de la famille ? »

Il me regardait, de ses yeux pleins de bonté. Je voulus lui faire plaisir, et je concentrai toute mon attention sur ce problème : dans un éclair, je vis la vérité, et je m’écriai :

« C’est parce qu’elle était sulfatée ! »

L’oncle Jules me regarda fixement, serra les dents, et devint tout rouge. Il voulut parler ; l’indignation lui coupa le souffle. Il essaya successivement trois ou quatre syllabes gutturales, mais il était hors d’état de leur donner une suite qui eût précisé leur sens. Alors, il leva les bras au ciel, puis son derrière de sa chaise, et dit enfin, avec une grande violence :

« Voilà ! Voilà ! Voilà !… »

Ces trois exclamations débouchèrent le passage, et il put enfin s’écrier :

« Voilà le résultat d’une école Sans Dieu ! Les effets grandioses de l’Amour, il les attribue à la crainte du Sulfate de Cuivre ! Cet enfant, qui n’est pas un monstre, vient donc de faire spontanément une réponse monstrueuse. Mesurez, mon cher Joseph, la grandeur de vos effrayantes responsabilités !

– Voyons, Jules, dit ma mère, vous pensez bien qu’il a dit ça pour rire !

– Pour rire ? s’écria l’oncle. Ce serait encore pire !… Je préfère croire qu’il n’a pas bien compris ma question.



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