La Fin du monde a du retard by Erre J.M

Auteur:Erre, J.M. [Erre, J.M.]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Literature & Fiction, Humor, Literary, Foreign Languages, French
Amazon: B00HZISRSC
Éditeur: Buchet/Chastel
Publié: 2014-02-12T23:00:00+00:00

En atterrissant en bas de l’échelle, Julius alluma sa lampe frontale et afficha un sourire satisfait en regardant autour de lui. Les murs lépreux, dégoulinants d’humidité rance ; le canal charriant un flot noir avec des morceaux dedans ; le trottoir étroit et glissant, en forme de piste de lancement pour candidats au plongeon.

– Formidable, assura Julius. L’oracle aveugle avait dit juste.

C’était la première fois que Julius pénétrait dans les égouts et il était toujours heureux de combler un trou dans sa culture générale. Des années passées à marcher à quelques mètres au-dessus de cet extraordinaire monde souterrain sans jamais s’y intéresser : son manque de curiosité lui faisait honte.

– Il y a là un côté « descente aux enfers » fort enthousiasmant, fit Julius. Regardez ce Styx tumultueux exhalant son haleine infernale. Nous voilà sur les traces d’Hercule et Orphée !

– N’oubliez pas que les cerbères sont à nos trousses, dit Alice en filant la métaphore pour faire plaisir à son camarade. Si on bougeait ?

– Pour nous qui voulons changer de regard sur le monde, n’est-il pas judicieux d’en explorer les dessous ?

– Certainement, mais j’entends nos poursuivants qui commencent à descendre.

– Vous avez raison, en route pour les entrailles de la Terre !

La course-poursuite reprit dans les souterrains où la lumière dansante de la lampe frontale créait sur les murs glaireux des ombres fantastiques. L’atmosphère était lourde d’effluves épicés issus d’associations hardies sur le thème de la putréfaction. Derrière eux, les bruits de pas et les appels de leurs poursuivants résonnaient en échos multiplicateurs, dans une ambiance de hall de gare à se demander où il faut aller dans le monde d’aujourd’hui pour être au calme.

– Vous savez où on va ? demanda Alice alors que Julius enchaînait les bifurcations avec beaucoup d’assurance.

– Non, je prends les couloirs au hasard.

– On ne risque pas de se perdre ?

– On ne peut pas se perdre puisqu’on n’a pas de destination. C’est l’avantage de marcher au hasard.

– Ça se tient, conclut Alice.

Soudain, alors que Julius tournait dans un nouveau boyau, une lumière vive le frappa de plein fouet.

– On ne bouge plus ! fit une voix nourrie aux séries américaines.

En souvenir de ses parents qui lui avaient appris à obéir à l’autorité, et aussi en souvenir du flingue que le type avait brandi dans la rue quelques minutes auparavant, Julius décida avec sagesse d’arrêter sa course tout net. Mais c’était compter sans le destin farceur qui avait posé un impondérable sur son chemin. Un impondérable en forme de rat grassouillet se prélassant dans une flaque immonde après un festin frelaté. Rat grassouillet que nous appellerons Jean-René, non par plaisir de céder à l’anthropomorphisme le plus vulgaire, mais dans l’espoir de tirer de cet épisode une morale universelle à la façon de Monsieur de La Fontaine.

Julius marcha donc sur Jean-René au moment où la voix ordonnait de ne plus bouger. Entièrement concentré sur l’effet très particulier produit par une pointure 39 aplatissant son estomac en pleine digestion, Jean-René n’entendit pas

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