La fille unique by Avraham B. Yehoshua

Auteur:Avraham B. Yehoshua [Yehoshua, Avraham B.]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2022-05-25T12:19:07+00:00

13.

Au matin, dans une boutique du centre historique, Lucia, la couturière, attend Grand-Mère et sa petite-fille ; une sexagénaire d’origine polonaise qui va les aider à décider laquelle des trois robes que Grand-Mère a choisies hier conviendra à la fête. Mais comme Grand-Mère est disposée d’avance à acquérir les trois, déjà payées – voire une quatrième, ajoutée au dernier moment –, la décision finale ne sera prise que ce soir, et, entre-temps, l’habile couturière tentera d’ajuster les quatre robes à la taille de Rachele. Cette dernière entre dans la cabine d’essayage et en sort, accompagnée du regard professionnel du patron de la boutique qui ne leur épargne pas son avis. Et comme les mesures ne déterminent pas le choix mais une amélioration de principe, la mallette de la couturière, outre des épingles, des aiguilles, des bobines de fil et un mètre-ruban, contient un trésor d’ornements et d’accessoires : colliers de perles, faux cols, pièces de velours de différentes couleurs, mousselines, bandes de dentelle, épingles dorées, toutes sortes de boutons anciens et modernes. Tout cet attirail a pour vocation d’ajouter une singularité originale aux robes quelque peu monacales que Grand-Mère a choisies.

Prenant son mal en patience, Rachele ne discute guère. Elle entre dans la cabine et essaie une robe, en sort et se tient indéfiniment devant trois miroirs et s’en remet totalement à l’imagination créatrice de la couturière, restée seule avec Rachele, car Grand-Mère s’en est allée dénicher une robe pour elle-même. Lucia, dont Grand-Mère a décidé de changer le prénom en Myriam, défait d’abord la doublure des quatre robes afin de les rallonger et de recouvrir les genoux de la jeune fille, pas encore suffisamment arrondis et sur lesquels l’on remarque des traces de griffures dues aux exercices de sport que le père énergique a imposés à sa fille. « À ton âge, lui explique la couturière, les genoux des filles, les garçons ne s’y intéressent pas, pour eux, ce qui compte, c’est le galbe des mollets, et pour ça, les chaussures à talon que ta grand-mère a prévues vont nous aider.

— Je ne porterai jamais de chaussures à talon, décrète Rachele, il y a tellement de garçons plus petits que moi dans ma classe, que je n’accepte pas d’être encore plus grande qu’eux.

— Ça, réplique la couturière, tu en discuteras avec ta grand-mère, moi, je suis spécialisée en robes, pas en chaussures.

— Mais comment, la défie Rachele, oui, comment se fait-il que tu aies accepté que Grand-Mère change brusquement ton nom de Lucia en Myriam ?

— Je n’aime pas contredire les gens qui me paient le double des autres…

— Et pourquoi a-t-elle choisi Myriam ?

— Parce que, si je suis arrivée encore enfant de Pologne en Italie, c’est ce qu’elle a dit, ça voudrait dire que je suis un peu juive.

— Un peu ? pouffe Rachele, à quel point “un peu” ? Comment ça, “un peu” ?

— Je ne sais pas, répond la couturière, le rouge aux joues, mais le nom de Myriam me plaît, pourquoi devrais-je le rejeter

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