La femme qui dit non by Gilles Martin-Chauffier

La femme qui dit non by Gilles Martin-Chauffier

Auteur:Gilles Martin-Chauffier [Martin-Chauffier, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Tags: French, Literary, Literature & Fiction, Foreign Language Fiction, Literary Fiction, Foreign Languages, Other Languages
Éditeur: Grasset
Publié: 2014-08-26T22:00:00+00:00


CHAPITRE 10

1945. La résurrection

Jamais un hiver ne m’a paru si long. Même le temps s’y mettait. Il pleuvait sur l’île comme dans nos cœurs. Une pluie dure comme du verre, coupante, froide. Ce que je redoutais plus que tout s’est produit. Blanche est rentrée la première, en avril. Puis le recteur, début mai. On a fêté leur retour comme il se doit mais les larmes que je versais n’étaient pas que de bonheur. Je m’étais convaincue que les trois ne reviendraient pas. Même si j’affirmais le contraire à Kergantelec et persuadais Miss, Nanne, Misia et Timmy que ces réapparitions prouvaient qu’on survivait à la déportation, leur résurrection signait dans mon âme l’arrêt de mort de Blaise. Leur état achevait de m’épouvanter. On aurait dit des squelettes. La tête rasée, les joues creuses noircies par la barbe, les yeux exorbités, le recteur ressemblait à un bagnard. Blanche était un spectre. Quant à les faire parler de Ravensbrück et de Neuengamme, leur camp respectif, inutile d’y songer. Blanche m’avait dit d’une voix tendre mais excédée que quiconque n’y était pas allé n’entrerait jamais dans ces lieux et que ceux qui y étaient entrés n’en sortiraient jamais. Se pressant contre moi, elle m’avait en même temps juré que Blaise, lui aussi, allait réapparaître mais je n’arrivais pas à la croire.

Presque chaque jour, le matin, à l’aube, je descendais m’asseoir face au golfe, à la pointe du bois d’Amour, là où Blaise m’avait emmenée la nuit où il était passé nous embrasser dans l’île. A cette heure, ni bateau, ni vent, ni vagues sur l’eau, pas même de cris de mouettes. La mer et le ciel se confondaient dans les teintes grises de la brume, douces comme le velours, mélancoliques et silencieuses. J’ai compris à ces moments la profonde tristesse des bords de mer, là où les femmes prient Dieu d’arracher leur homme à l’océan pour les ramener au port. Parfois l’angoisse s’emparait de moi, mes doigts se mettaient à me piquer et je transpirais sous mon ciré. Mes jambes ne m’auraient plus portée si je m’étais levée. J’avais peur de celui qui rentrerait, si un miracle me le rendait. Je redoutais les silences de Blaise et je savais par mille récits d’îloises que les marins revenus à terre n’évoquent jamais le froid mordant, les cambuses crasseuses, la fatigue, l’épuisement plutôt, ni la peur et les vagues acharnées à lessiver le pont et à les emporter, toute cette vie écœurante dans la jungle mortelle des eaux glaciales. Que me raconterait-il ? On ne naît pas impunément dans une île qui ne cesse d’envoyer ses fils mourir au loin dans les glaces de Terre-Neuve, entre les bancs de morues de l’Islande. Chacun garde ses pensées pour lui, par crainte d’attirer le mauvais sort. Le recteur, un soir, au début de notre amitié, m’avait montré le registre d’un de ses prédécesseurs qui, en 1880, avait interrogé ses paroissiens, hommes et femmes, sur leurs voyages. Il y avait près de mille habitants à l’époque, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Seuls



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