La fabrique du monstre: 10 ans d'immersion dans les quartiers nord de Marseille, la zone la plus pauvre d'Europeon) by Pujol Philippe

Auteur:Pujol, Philippe [Pujol, Philippe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016, essai
Éditeur: Les Arènes
Publié: 2016-01-12T23:00:00+00:00

Les attendus du jugement sont sans détour : « L’infraction de détournement de fonds publics est caractérisée. » Et la justice en a fait sa seule cible d’importance : « Ces faits causent un trouble exceptionnel à l’ordre public en ce qu’ils engagent la responsabilité d’une élue de la République pour manquements graves au devoir de probité inhérent à sa fonction et qu’ils remettent en cause la confiance que peuvent avoir les électeurs citoyens en leurs élus. » Sept cent mille euros versés à des associations fantoches en échange de promesses de voix à chacune de ses élections. Le jugement du tribunal pourfend : « L’argent du contribuable a été distribué sans discernement et d’une manière arbitraire dans le cadre d’un clientélisme électoral et a profité à des personnes privées pour leurs besoins personnels. Sylvie Andrieux s’est servie des fonds régionaux sur lesquels elle avait un pouvoir régulier et officiel comme d’une réserve financière pour conforter son implantation politique dans sa circonscription. » Vingt et une autres personnes ont été également condamnées pour escroquerie, faux et usages de faux, mais même les peines les plus importantes ne parviendront pas à concurrencer la jolie petite bourgeoise venue acheter les voix du bas peuple dans un quartier populaire. Pour tous, elle était la sournoise et impérieuse tête de réseau. La tête étant coupée, tout le monde s’imagine que les choses vont reprendre un cours normal. C’est parfois le problème du théâtre judiciaire ; il arrive que l’on s’y trompe de spectacle. On punit, mais on n’élimine pas les causes du problème.

Un réseau comme celui-ci se construit sur toute une addition d’intérêts et d’ambitions personnelles. Au fond, seuls les médias et la justice cherchent un chef, chacun pour des raisons différentes. Les uns pour avoir une histoire à raconter, l’autre pour justifier son pouvoir de condamnation. Pourtant, il n’y a aucune raison pour que le clientélisme associatif disparaisse. La dérive est d’abord structurelle.

Parmi les différents condamnés aux côtés de Sylvie Andrieux figure Benyoub Same, heureux bénéficiaire de ses généreuses subventions. Visiblement, le type ne découvrait pas le tribunal, s’y sentant presque bien, coupant la parole aux uns et aux autres, même à la présidente, comme au café des Sports. Sans perdre de temps, il reconnaissait tout. Lui a connu la vie chaotique de ceux qui se débattent pour exister dans les quartiers populaires. Après avoir tâté un peu de la prison, il profitait de sa relative instruction pour faciliter l’installation de commerçants arrivés d’Algérie. En 2005, à Font-Vert, il gérait un taxiphone où se rencontrait tout le quartier. Les discussions allaient bon train sur toutes les voies possibles pour améliorer le quotidien. L’associatif en était une. Benyoub Same comprend alors qu’en « montant des associations on peut obtenir des fonds ». Une autre voie pour gagner de l’argent consiste à s’arranger pour obtenir une bonne place sur une liste d’élus. Devenir conseiller municipal de Marseille vous assure une rente mensuelle d’un peu moins de 2 000 euros. Conseiller général, près de 2 500 euros.

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