La cavale by Albertine Sarrazin

La cavale by Albertine Sarrazin

Auteur:Albertine Sarrazin [Sarrazin, Albertine]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 1965-08-03T00:00:00+00:00


CHAPITRE XI

« Me ferez-vous l’honneur d’être mon témoin, Maître ? »

Il était indispensable que le Barreau fût représenté à notre mariage. Mais comme, pour cela, un bavard était bien suffisant, nous laissâmes les autres places de témoin à des amis.

Les amis savent – quelquefois par expérience – ce dont manque un détenu : l’amour, et pas nécessairement l’eau fraîche. De plus, ils connaissent nos marques préférées : ils se sont donc amenés avec les poches bourrées de flasks et deux bouteilles de champe dans le cabas.

J’étais pourtant encore à jeun lorsque, sur le seuil de la prison, je faillis entrer en collision avec un grand type en gabardine. Au lieu de s’excuser et de me laisser le passage, l’affreux me serra de plus près et tenta de m’embrasser.

Mon fiancé était déjà casé dans la voiture-radio, sur la banquette arrière ; j’allais l’appeler à l’aide, lorsque je reconnus mon agresseur… et je me jetai dans ses bras :

« Mon vieux Maurice ! Oh ! c’est gentil d’avoir accepté… Excuse-moi, je t’avais pris pour un poulet, j’ai pas mis mes carreaux… »

Et Maurice qui s’embrouillait dans des formules, qui m’empilait sur les bras des fleurs et des cartons de chez le confiseur… Je lui demandai de me garder tout ça jusqu’à ce que je puisse m’en occuper ; mais là, impossible, j’avais trop à faire avec ce mariage. Je grimpai dans la voiture, m’assis contre Zizi et me calai dans ses bras – on l’avait dispensé des menottes –, je n’en bougerais plus. Plus jamais.

Nous roulions vers la mairie, sauvés de la grosse réjouissance, sans qu’un passant nous regardât autrement que des gens dans une voiture de flics ; nous étions tranquilles, intrigués, un peu irréels.

Les témoins s’étaient tassés dans la guimbarde ; l’avocat, seul, devait se rendre directement à la mairie. Ils bavardaient poliment avec nos anges et nous passaient les flasks sous leur nez, ces messieurs ayant refusé de boire en service, mais ayant permis que l’on s’abreuve : c’est pas tous les jours qu’on se marie, et les anges sont gentils comme tout quand leur service l’est aussi.

Nous buvions au goulot, à tour de rôle, comme des rescapés du désert, et les amis faisaient « doucement, doucement », en essayant de nous retirer le biberon. Quand les petites bouteilles furent vides, nous demandâmes les grandes ; mais comment faire sauter les bouchons sans arroser personne, dans cet agglomérat de bras et de jambes ? Je quittai mon promis une seconde et je me tournai vers Maurice. J’articulais de façon langoureuse et ensommeillée, en m’appliquant :

« Te casse pas la tête, on ira boire le champe chez mon avocat. Je lui ai demandé de nous prêter son appartement cinq minutes. »

Un autre détenu s’était fait établir un permis d’extraction, ayant malheureusement un être cher à accompagner au cimetière le jour même où nous avions à nous marier ; notre cérémonie fut donc enlevée dans le style de Gretna Green – neuf minutes, chronométra Maurice. Et nous fûmes ramenés à la



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