La Cène by Hubert Haddad

La Cène by Hubert Haddad

Auteur:Hubert Haddad [Haddad, Hubert]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Zulma
Publié: 2012-12-20T00:00:00+00:00


Les montagnes pâlirent au crépuscule. De longs figements violets s’épaissirent sur l’abîme. L’Ouest incendié jeta ses cendres sur les neiges éternelles. Les rayons obliques s’accrochèrent aux cimes avant l’enfouissement. De toutes parts, montaient l’ombre et le gel. Déjà, les survivants se regroupaient près de l’avion comme des voyageurs à l’approche du départ. Ils n’allumèrent pas de feu ce soir-là, se contentant de sautiller sur place face à la béance protectrice. Marquès attendait parmi les blessés l’heure du repas. La jeune femme était très mal. Son souffle criait aux bronches tandis que tout le corps palpitait.

Ses cheveux dénoués roulaient en boucles éparses sur la litière tachée de sang. Lucide, elle s’étonnait de cette protection inconnue qui la couvrait de son silence. Sa voix trop claire maîtrisait par instants le râle qui battait ses flancs d’un flux organique.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ?

— Ne parlez pas, vous vous faites mal.

— Qui êtes-vous ?

Sa bouche tremblait sur l’éclat mouillé des dents. Elle trouvait la force de choisir des mots entre d’autres malgré le désordre du délire. Si faible était sa voix que le grondement du vent l’estompait à chaque intrusion.

— J’ai soif.

Le reporter s’empressa auprès d’elle, craignant qu’elle ne demandât à manger. Elle but goutte à goutte la neige fondue et sourit de gratitude. Bouleversé par cet impalpable scintillement qui lui était adressé aux lisières de la mort, il caressa le front brûlant et pressa doucement la main glacée.

— Comment vous appelez-vous ?

Elle s’était rendormie. Sa tête s’inclinait à l’écoute d’une parole rêvée. Il sentit la petite main s’ouvrir et frissonner au vent calme du sommeil. Elle était si gravement belle sur son grabat de chiffons maculés qu’une confusion soudaine emplit ses yeux de larmes. Terera et Gaeldo pénétrèrent les premiers dans la carlingue. Ils s’exclamèrent en découvrant le reporter agenouillé près des blessés.

— Tu perds ton temps ! Il y a d’autres urgences.

— Ils vivent encore !

— Nous ne pouvons rien. Leur survie dépend des secours…

— Et la charité chrétienne ?

— Il faut laisser les morts enterrer les morts…

Les autres approchaient en secouant le gel de leurs basques.

Ils firent un cercle tandis que Maria apportait les victuailles.

Tout ce qui pouvait se manger tenait dans ses deux bras. Beira prépara les parts avec un œil de diamantaire. Les athlètes, le souffle court, guettaient les mains du capitaine. Maria s’installa près de Felipe, les traits décomposés par l’effroi. Quand Beira distribua ces rations inhabituelles, vingt bras se tendirent.

Marquès se récria vivement : – Qu’est-ce que cela signifie ? Il y a là au moins trois jours de subsistance !

L’ingénuité de la remarque en fit ricaner plus d’un. Le plaisir paroxystique d’absorber enfin l’épaisseur d’un aliment se confondait avec la mastication ahurie de l’idée. Chacun protégeait sa part d’un geste instinctif comme un chien surveille son os. D’une voix grondante, Jimenez recula l’instant du repas.

— Avez-vous oublié de remercier Dieu ?

Les athlètes arrachèrent leurs regards de la pitance pour fixer un même point au centre du cercle. La prière monta, grave et monocorde. Maria sanglotait en disant le Notre Père.



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