Kant (Collège de Philosophie) (French Edition) by Luc FERRY

Kant (Collège de Philosophie) (French Edition) by Luc FERRY

Auteur:Luc FERRY [Ferry, Luc]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2006-10-03T23:00:00+00:00


Kant peut-il lui-même échapper à l’une ou l’autre de ces alternatives ? Toute la question de l’interprétation du kantisme se trouve ici posée. Certains disciples ou interprètes de Kant le tireront vers l’idéalisme, d’autres vers le réalisme selon une logique des interprétations que j’exposerai dans le prochain chapitre. La thèse que je formulerai à la fin de cet essai est que ces deux interprétations sont fausses, bien qu’elles possèdent chacune une incontestable logique. Mais avant d’en venir aux conclusions, il faut déjà prendre conscience du problème dans toute son ampleur.

C'est à F.H. Jacobi (1743-1819) qu’il reviendra de formuler pour la première fois ce dilemme fondamental dans l’Appendice de son essai intitulé David Hume ou la croyance, Dialogue sur l’idéalisme et le réalisme (1787) 1. Résumons brièvement cette critique avant d’y revenir plus en détail. Elle consiste, pour l’essentiel, à mettre en évidence le caractère intrinsèquement contradictoire de la notion de chose en soi dans le système kantien : elle est, en effet, tout à la fois inaccessible en vertu de la théorie kantienne de l’objectivité (toute représentation d’objet est par définition pour nous et ne dépasse donc jamais le stade du « phénomène ») et pourtant indispensable pour expliquer le « choc » de la perception et fonder la passivité d’une sensibilité pour laquelle le monde est donné et non pas créé. Nécessaire pour justifier la théorie de la finitude radicale liée à cette passivité des sensations (dans l’« Esthétique transcendantale »), la chose en soi serait aussitôt évacuée pour ne pas mettre en péril la nouvelle doctrine de l’objectivité (dans l’« Analytique transcendantale »). Bref, comme le dira Jacobi en une formule restée célèbre, « sans la chose en soi, je ne puis entrer dans le système kantien; avec elle, je suis obligé d’en sortir » : entre idéalisme (abolition de la chose en soi) et réalisme (maintien de la chose en soi), le kantisme ne saurait donc sans dommage choisir, s’il est vrai que ces deux thèses forment une antinomie, soit, selon la définition même de Kant, une opposition dont chacun des termes est intenable et renvoie à son opposé.

Cette critique du kantisme eut un retentissement considérable. L'immense majorité des interprètes de l’idéalisme allemand, de Hegel lui-même jusqu’aux commentateurs contemporains, s’accorde d’ailleurs à lui reconnaître le mérite d’avoir anticipé avec une « pénétration vraiment prophétique » et une « précision dont on demeure confondu 2 » l’évolution de la philosophie après Kant. Les post-kantiens entreprendront, en effet, de supprimer d’un même mouvement l’hypothèse de la chose en soi et la coupure entre concept et intuition, réalisant ainsi la prophétie de Jacobi :

« L'idéaliste transcendantal doit avoir le courage d’affirmer l’idéalisme le plus énergique qui ait jamais été enseigné, et de ne pas redouter lui-même le reproche d’idéalisme spéculatif, car il lui est impossible de se maintenir dans son système s’il veut se justifier, ne serait-ce que devant ce dernier reproche 3. »



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