Jean Santeuil by Marcel Proust

Jean Santeuil by Marcel Proust

Auteur:Marcel Proust [Proust, Marcel]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2014-05-10T22:00:00+00:00


[Nobles d’Empire. — Borodino]

Et parce que leur aïeul comme le premier Empereur pénétrait les hommes, parce que leur père dans le conseil du second suivait ses rêves, aujourd’hui [ceux] qui portent ces grands noms de l’Empire qui lui ont survécu, ont encore quelque chose de perçant dans cet œil qui ne va plus au fond de personne, et tantôt quelque chose de vague dans le regard qui ne songe plus à rien. C’est un trait de physionomie qui n’est plus motivé par rien, mais que le génie de la race [a gardé], comme un sculpteur qui laissera d’une pensée d’un jour une image éternelle. Et en fait, sans raison, comme les statues dont l’expression correspond à une réalité antérieure qu’elles continuent de refléter sans la comprendre et sans pouvoir la modifier, ces hommes continuent, sans hommes à gouverner ni talent pour le faire, à fixer sur ce qui est devant eux, que ce soit un dîner servi ou un ami qui parle, un œil profond et autoritaire ou un regard mélancolique et songeur. Tel était le prince de Borodino, tel dans son expression, tel dans sa politesse grave, solennelle qui ne cherchait pas à dissimuler qu’elle vous honorait, mais ne sous-entendait pas, comme celle des nobles légitimistes, qu’elle vous jouait. Fils d’un homme ayant exercé une haute fonction comme presque tous ces grands nobles de l’Empire, son autorité fondée encore il y avait à peine douze ans sur quelque chose de réel puisque son père était ministre de la Guerre et qu’il avait un grand avenir dans la diplomatie, son autorité n’avait pas eu le temps, comme celle des nobles de l’Ancien Régime, de se rouiller dans la désuétude et de devenir de la protection. Elle n’était pas encore devenue un simple jeu qu’on apprend comme la chasse, un exercice auquel on est dressé comme le cheval. Elle était quelque chose de sérieux, manifestant l’exercice d’un droit de prééminence, l’accomplissement [d’un] devoir de clairvoyance et de bonté. Enfin un roturier n’est jamais, pour des hommes ayant des fonctions sérieuses à remplir où ils ont besoin d’hommes et où les hommes sont estimés à leur valeur, ce qu’il est pour un noble qui depuis un demi-siècle ne voit en eux que les gens qu’il ne « voit » pas. Il peut cacher l’étoffe d’un homme supérieur comme était Rouher, comme était Ollivier. Leur père d’ailleurs n’était-il pas un simple soldat de fortune ? Enfin, ayant un autre air, une autre politesse, ces nobles du second degré, plus rapprochés des mérites réels, de la vie effectivement supérieure où la noblesse prend sa source, ont aussi de meilleures manières. Ils ont été élevés dans une cour, près d’ambassadeurs étrangers devant qui l’on est tenu en respect (tandis que les nobles légitimistes prenaient par laisser-aller, dans une vie purement de plaisir, des façons auxquelles leur prestige seul, entre eux, peut faire donner encore le nom de bonnes façons) — formés eux-mêmes pour des emplois que l’avenir, si différent de ce qu’ils pensaient, leur a retirés, mais pour



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