Jean-Christophe III by Rolland Romain

Jean-Christophe III by Rolland Romain

Auteur:Rolland, Romain [Rolland, Romain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: BEQ
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


*

À la maison, il trouva des visages irrités. Tous étaient scandalisés qu’il eût passé la nuit, Dieu sait où, avec Sabine. Il s’enferma dans sa chambre et se mit à travailler. Sabine revint le lendemain, et s’enferma de son côté. Ils prirent garde de ne pas se rencontrer. Le temps était toujours pluvieux et froid : ni l’un ni l’autre ne sortait. Ils se voyaient derrière leurs vitres closes. Sabine était enveloppée, au coin du feu, et songeait. Christophe était enfoui dans ses papiers. Ils se saluaient d’une fenêtre à l’autre, avec réserve. Ils ne se rendaient pas compte exactement de ce qu’ils sentaient : ils s’en voulaient l’un à l’autre, ils s’en voulaient à eux-mêmes, ils en voulaient aux choses. La nuit de la ferme était écartée de leur pensée : ils en rougissaient, et ils ne savaient pas s’ils rougissaient davantage de leur folie, ou de n’y avoir pas cédé. Il leur était pénible de se voir : car cette vue leur rappelait des souvenirs qu’ils voulaient fuir ; et, d’un commun accord, ils se retirèrent l’un et l’autre au fond de leurs chambres, pour s’oublier tout à fait. Mais cela n’était pas possible, et ils souffraient de cette hostilité secrète. Christophe était poursuivi par l’expression de sourde rancune, qu’il avait pu lire une fois sur le visage glacé de Sabine. Elle n’était pas moins malheureuse de ces pensées ; elle avait beau les combattre, les nier même : elle ne pouvait pas s’en défaire. Il s’y joignait la honte que Christophe eût deviné ce qui se passait en elle ; – et la honte de s’être offerte... la honte de s’être offerte et de ne s’être pas donnée.

Christophe accepta avec empressement l’occasion qui se présenta d’aller pour quelques concerts à Cologne et à Düsseldorf. Il était bien aise de passer deux ou trois semaines loin de la maison. La préparation de ces concerts et la composition d’une œuvre nouvelle qu’il voulait y jouer l’occupèrent tout entier, et il finit par oublier les souvenirs importuns. Ils s’effaçaient aussi de l’esprit de Sabine, reprise par la torpeur de sa vie habituelle. Ils en vinrent à penser l’un à l’autre avec indifférence. S’étaient-ils vraiment aimés ? Ils en doutaient. Christophe fut sur le point de partir pour Cologne, sans avoir dit adieu à Sabine.

La veille de son départ, un je ne sais quoi les rapprocha. C’était une de ces après-midi de dimanche, où tous étaient à l’église. Christophe aussi était sorti, pour terminer ses préparatifs de voyage. Sabine, assise dans son minuscule jardin, se chauffait aux derniers rayons du soleil. Christophe rentra : il était pressé, son premier mouvement en la voyant fut de saluer et de passer. Mais quelque chose le retint, au moment où il passait : fût-ce la pâleur de Sabine, ou quelque sentiment indéfinissable : remords, crainte, tendresse ?... Il s’arrêta, se retourna vers Sabine, et, appuyé sur la clôture du jardin, il lui souhaita le bonsoir. Sans répondre, elle lui tendit la main. Son sourire était plein de bonté, – d’une bonté qu’il ne lui avait jamais vue.



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