Je suis le carnet de Dora Maar by Brigitte Benkemoun

Je suis le carnet de Dora Maar by Brigitte Benkemoun

Auteur:Brigitte Benkemoun [Benkemoun, Brigitte]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie
Éditeur: Stock
Publié: 2019-05-03T00:00:00+00:00


Michel

25 quai Bourbon

Ode 8644

Je ne pensais pas devoir me pencher sur le dossier « Michel ». Après l’avoir identifiée grâce au bottin de l’année 52, j’ai rangé puis oublié le docteur Hélène Michel-Wolfromm parmi les « médecins divers », persuadée que ce nom ne me serait pas plus utile que tous les cardiologues, dentistes ou généralistes qui traînent dans nos répertoires. Mais, en cherchant des précisions sur Lacan, j’ai découvert l’histoire de cette femme étonnante : spécialiste de la stérilité, pionnière de la sexologie, et fondatrice après guerre d’une discipline révolutionnaire, la gynécologie psychosomatique.

À l’occasion d’un portrait de Lacan, l’écrivain Jérôme Peignot fait le récit assez comique d’un dîner au bord de l’Eure, chez les Michel-Wolfromm dans les années 60. Hélène, petite brune, joyeuse, chaleureuse, généreuse, picoleuse, fumeuse… Son mari, un banquier plus âgé, riche, un peu snob, assez bourru, incorrigible coureur. Et ce soir-là, un invité de marque : Jacques Lacan. Comme il se doit, le « maître » arrive en retard, puis fait son show pendant tout le repas, écartant les contradictions avec de grands effets de manche. Quelques jours plus tard, Hélène Wolfromm reçoit une lettre de château : « Le charme du lieu, votre écoute et celle de vos invités m’ont permis de donner le meilleur. Aussi je vous serais très obligé de me régler le montant afférent à cette soirée, soit la somme de six mille francs. Dans l’attente d’une prompte réponse, je vous prie de croire à ma sympathie marquée. Jacques Lacan58. »

À quatre-vingt-douze ans, Jérôme Peignot se souvient encore parfaitement de ce dîner. Par contre il a oublié si le chèque de six mille francs lui a bien été « promptement » expédié. Hélène préférait sourire des travers et des manies du psychanalyste dont elle est restée très proche. Lui devenant la star des séminaires, elle, la grande spécialiste de la sexualité féminine, militante de la contraception, cofondatrice du planning familial. Il lui adresse régulièrement des patientes souffrant de stérilité, frigidité, et douleurs d’amour… De cette pratique d’avant-garde, il ne reste que Cette chose-là, un livre d’une humanité et d’une modernité inouïes, publié quelques mois après sa mort, en 1969. Hélène Wolfromm a disparu trop tôt pour laisser son nom dans l’histoire de la libération des femmes, où elle aurait toute sa place.

Dans son livre, elle raconte notamment « le souvenir le plus vif d’un premier séjour dans un service d’obstétrique, en 1936 […] : de longues causeries avec les avortées. […] Elles étaient méprisées par les infirmières qui, elles aussi, se faisaient parfois avorter, mais plus proprement. Dans le service, de par la volonté sadique du patron, on curetait les femmes à vif, sans anesthésie, dans l’espoir fallacieux de leur ôter l’envie de recommencer. Malgré nos efforts, avant l’ère des sulfamides et des antibiotiques, beaucoup mouraient59… »

Le docteur Wolfromm, qui n’a que vingt-deux ans, est la seule à s’attarder au chevet de ces pestiférées, éponger leur front, s’inquiéter de leurs souffrances. « L’histoire de ces femmes m’obsédait », écrit-elle.

Dora était peut-être l’une d’elles.



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