Je suis en vie et tu ne m'entends pas by Daniel Arsand

Je suis en vie et tu ne m'entends pas by Daniel Arsand

Auteur:Daniel Arsand [Arsand, Daniel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Actes Sud
Publié: 2016-02-11T05:00:00+00:00


Deuxième partie

Plutôt jolie et petite bonne femme. C’était ainsi que Klaus Hirschkuh jugeait l’épouse de René.

Il n’était pas le bienvenu.

Sympathique par intermittence, un peu sotte, la politesse compassée. Anne Bayonnat n’appréciait pas trop les populations traversant les frontières françaises.

Non, il n’était pas le bienvenu.

Et puis. Et puis cet homme tout en angles et le visage bleui par une barbe de plusieurs jours, une chevelure brune, il était allemand, et des mèches bouclaient sur son front, à ses tempes, dans son cou. Plus beau que René. Gênant pour la femme. Un déséquilibre assuré dans la sphère familiale.

Entre deux grands baisers appuyés, René évoquait quelques horreurs vécues chez les Teutons. Elle disait : C’est assez, mon chéri. Klaus Hirschkuh se taisait. Un démon passait. On vivait soudain sur une planète de spectres.

Le premier soir du retour des deux hommes, on dîna frugalement. Ils bâillaient tous, René désirait sa femme.

Qui prépara le lit de Klaus. L’hiver parisien se confondait avec un printemps précoce. Des hivers allemands, Anne Bayonnat se fichait comme de l’an 40.

Comme à Leipzig, à sa réintégration dans le giron familial, Klaus ne se déshabilla pas. Il tendait l’oreille. Il entendit un homme et une femme s’aimer. Sa place n’était pas dans cet appartement. Ici, il se sentait moins l’ami de René qu’à Leipzig. Que leur relation se recroqueville, il n’y survivrait pas. Théâtraliser le galvanisait. À Buchenwald il ne se prenait pas au sérieux. Il fourra ses mains entre ses cuisses. Comme un très vieil adolescent. Ce va-et-vient n’avait rien de pathétique, il apaisait.

Au petit-déjeuner, il annonça que la nuit prochaine il dormirait à l’hôtel. René se fâcha. Anne haussa les épaules. Elle trempait une tartine sans beurre mais avec confiture dans un bol de chicorée, vêtue de son manteau de ragondin à col de zibeline. On ne remarquait que la zibeline. Elle n’aurait plus jamais froid, elle resplendissait.

L’hôtel serait sans doute plus confortable qu’un canapé qui datait de Mathusalem.

Les dîners, ils les prendraient ensemble.

Trois nuits à l’hôtel, à quelques encablures de la rue du Château.

La quatrième, René l’enleva à son hôtel.

Au dernier étage de l’immeuble des Bayonnat, entre deux chambres de bonnes, existait un vaste débarras de neuf mètres carrés. Une tanière, pensa Klaus, pis que le galetas de Leipzig. Et pas de lucarne, mais un carreau qui n’ouvrait pas, un truc absurde, par lequel coulait une vague lumière. C’était mieux que rien, dit René, en attendant. Pas de loyer à payer. Chez un brocanteur du coin René avait acheté pour trois fois rien un matelas. L’eau était sur le palier. Il avait confectionné avec des planches récupérées sur un terrain vague des étagères. Se tassaient une penderie plus qu’étroite, une table et une chaise. Il avait fait ce qu’il avait pu.

Décidément, Klaus était voué au plus rudimentaire. Mais il ne tolérait plus ce froid, plus ces matelas défoncés, plus cette crasse sur une vitre. Ce matelas ne constituait pas un vrai lit. Tout en creux et bosses. Des taches partout de liquides renversés, répandus – tisane, café, vin, foutre.



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