Je me suis beaucoup promené by Michel Déon

Je me suis beaucoup promené by Michel Déon

Auteur:Michel Déon [Déon, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
Éditeur: La Table Ronde
Publié: 1995-03-04T23:00:00+00:00


LE PALAIS-MAUSOLÉE DE D’ANNUNZIO

On ne visite pas le Vittoriale sans s’être remis en mémoire des pages de Gabriele D’Annunzio. Son palais – quel autre mot employer ? – est la pétrification de son œuvre comme si le poète, inquiet de la fragilité des mots et de l’oublieuse mémoire des hommes, avait voulu, dans les quinze dernières années de sa vie, dresser lui-même le monument que ses contemporains risquaient de lui refuser. Pour bien comprendre le Vittoriale il faut se rappeler que D’Annunzio a été, de son vivant, le héros d’une Italie qui voulait se reconnaître en lui plus que dans tout autre écrivain : sublime, héroïque, baroque, confondant le mauvais et le bon goût, grandiloquente et lyrique, animée de sentiments extrêmes, rêveuse et poétique.

À quoi il est nécessaire d’ajouter, chez D’Annunzio, une douloureuse tentation de la mort comme pour beaucoup d’hommes d’action. Il n’est pas un de ses livres où la mort ne soit présente, provoquée, vaincue, donnée ou acceptée. Le poète ne voyait d’accomplissement qu’au sein de cette ultime confrontation.

Obsédé par la mort, D’Annunzio a puisé l’inspiration de son œuvre dans ce Vittoriale qui est un défi à l’inévitable victoire. On y lit à livre ouvert la vie d’un singulier condottiere des lettres. Et quelle vie !

Voici, conservés intacts, l’avion avec lequel il bombarda Vienne, la proue de la canonnière Puglia avec laquelle il patrouilla dans l’Adriatique, la voiture qui le conduisit à Fiume en compagnie de ses arditi, les « hardis » qui servirent son grand rêve méditerranéen. L’homme d’action a égalé le poète, et c’est peut-être ce que le Vittoriale nous rappelle le mieux dans ce somptueux décor du lac de Garde, à flanc de montagne.

Que D’Annunzio ait cru au génie du lieu, on ne saurait en douter quand on se promène dans les jardins en terrasses, sous les arcades, ou qu’un soir on écoute un concert sur les gradins du théâtre antique. La vue est exaltante : bleu d’outre-mer grâce à sa profondeur, le lac étincelle dans la lumière glacée du soleil. En face, voilé d’une brume légère, c’est San Vigilio, à droite c’est Sirmione, la « perle des presqu’îles » (Catulle), au centre c’est la magique île Borghese dont la végétation étouffe la villa baroque. D’Annunzio a, dans un dernier sursaut d’orgueil, voulu dominer ce paysage unique qui rassemble les enchantements et les parfums de l’Italie. Il en fut, quelques années, le roi incontesté, allant même un jour, dans un mouvement d’humeur, jusqu’à tirer un coup de canon à blanc contre un Anglais qui le narguait depuis sa résidence sur l’autre rive.

Plus on approfondit la connaissance du Vittoriale, plus on comprend que cette demeure princière – princière est le mot, le roi Victor-Emmanuel ayant anobli le poète : prince de Monteneveso, prince du mont Neigeux – est autant qu’un oratoire, le refuge hautain d’un homme à qui la gloire a tout accordé et serait un fardeau s’il se laissait encore tenter par elle. Décidé à se protéger orgueilleusement des incertitudes de son temps, il s’est



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