Je crois entendre encore... by André Tubeuf

Je crois entendre encore... by André Tubeuf

Auteur:André Tubeuf [Tubeuf, André]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Arthur Rubinstein

Qui n’était pas allé entendre le Roi Arthur au moins une fois ? Pour le plaisir de le voir, pour sa jovialité salubre, pour le plaisir du piano tout simplement ? Car avec lui c’était un piano plaisir : d’un plaisir partagé, tant lui-même semblait en prendre plus encore qu’en donner. Il était facile avec lui d’oublier ses propres goûts, qui si facilement tournent au préjugé. Beethoven et Bach, Schubert aussi, qu’en piano je mettais au-dessus de tout, à peine s’il y touchait en concert, et quand il y touchait il y mettait sa patte et sa pâte, il les remodelait selon son bon plaisir : mais c’était un plaisir de grand musicien, sévère et raffiné, d’un goût et d’un tact supérieurs. Et on l’aurait suivi dans tout un programme Falla et Villa-Lobos comme dans sa jeunesse il en avait fait. Heureux artiste, en qui gourmandise et goût ne faisaient qu’un, et qui s’épanouissait rien qu’à toucher ce qu’il aime ! De ses quelques récitals j’avais retenu cela surtout ; et aussi, surprise à l’époque, que Chopin est mâle, ardent, et plein de sang rouge. J’avais aussi retenu, en sorte d’annexe au Festival, son adresse aux étudiants de Mai 68, à Strasbourg : derrière la main tendue très vite j’apercevais quelque chose de cabré qu’il retenait par politesse ; une indignation scandalisée devant le gâchis.

Dix ans plus tard, son auréole de vieux sage gourmand s’était dorée de gloire. L’Amour de la vie est une devise, un manifeste. Le film de François Reichenbach montrait le vieux pianiste dans tout son pittoresque et son inimitable, tenues, grimaces, incroyables bons mots : film oscarisé, et protagoniste promu exemple mondial de bonne humeur, de verve, d’humanité, de santé, de survie, très au-delà de son piano ! Nous lancions en ce temps-là, au Point, le mensuel Musiques : et le Roi Arthur (comme on commençait à l’appeler) ferait une couverture idéale. On ferait bien les choses, on l’inviterait à déjeuner chez Maxim’s. Le virtuose en vue, la personnalité oscarisée allaient très bien à mon rédacteur en chef Pierre Billard, mais le musicien l’intimidait, sans doute craignait-il là-dessus de se trouver court. Au dernier moment il me laissa y aller seul. Dans ce plus factice des cadres (un lieu d’histoire et, attablé, tout un pan d’histoire), Rubinstein était le naturel même. Il savourait sa sole Albert, et il racontait, goûtant l’un autant que l’autre, intarissable, rayonnant, solaire, à quatre épingles évidemment : veste de cachemire bordeaux, perle à la cravate, charmants boutons de manchettes d’or noir, émeraudes et jonc, et, coiffant le visage un peu rehaussé de rouge, le blanc un peu trop bleu d’un toupet. C’était trop de glamour. Les quelques années qui suivront je verrai beaucoup le roi nu, il ne m’émerveillera que davantage.

A la suite de cela, Reichenbach m’invita souvent dans ses films où des musiciens (Rubinstein souvent) et invités évoquaient Brahms, Ravel, Liszt, dix autres. Arthur se prit d’affection pour moi et chaque fois que possible me convoquait avenue Foch, seuls dans le grand salon de son petit hôtel particulier, juste pour causer.



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