Homme libre... by Kersauson Olivier de

Auteur:Kersauson, Olivier de [Kersauson, Olivier de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit
Éditeur: Fixot
Publié: 1994-06-01T22:00:00+00:00

10

Qui crache dans le vent

récolte la tempête

Daniel Pradel

- Putaing, que c’est bon le soleil !

Béat, à la barre, sa puissante musculature gonflant son T-shirt, Daniel Pradel lève la tête, esquisse un sourire, plisse les yeux, ébloui par l’astre qui le réchauffe enfin. Pour lui, le Toulonnais d’origine pied-noir - il est né à Tiaret, sur les hauts plateaux à la lisière du Sahara-, le soleil est le symbole de la douceur de vivre.

Pendant la descente dans le Sud, et notamment dans l’océan Indien, le grand et baraqué Daniel a semblé vivre dans une sorte d’état comateux. « Fri-go-ri-fié », disait-il en regagnant sa bannette, livide, les mains comme les pieds transformés en glaçons. Mettre un Toulonnais dans les environs de l’Arctique équivaut à transplanter un Esquimau à Tamanrasset : l’un gèle, l’autre fond.

À bord, on a bougonné sur le compte de Pradel, car on l’a jugé plutôt mollasson à la manœuvre. On n’a jamais dit, comme on a tendance à le faire au nord de la Loire, que les gens du Midi sont des fainéants, mais par moments on l’a pensé. C’est qu’au début de la régate Pradel a étonné. Plutôt désagréablement d’ailleurs : rarement le premier pour manœuvrer. Pourtant, quand ils l’ont vu débarquer à Brest, près de deux mois avant l’appareillage - pistonné par son vieux copain Tony Laurent-, Kersauson, Ragot, Pouillaude se sont frotté les mains. « Voilà un costaud, ont-ils pensé, fort comme un palan, qui, lors des efforts brutaux et réitérés pendant les manœuvres, nous sera précieux. » Pradel, en effet, en impose physiquement. Un mètre quatre-vingt-sept et quatre-vingt-cinq kilos, pas un gramme de graisse, mais des biceps et des cuisses d’haltérophile, trente-sept ans, traits réguliers et regard clair, la hanche étroite et la fesse ferme du sportif, bref, la morphologie parfaite de l’athlète aguerri par les compétitions.

- Mon pote, a expliqué Tony, a été champion du 400 et du 1 000 mètres en athlétisme. Il a fait du handball, de l’escrime, du rugby, du catamaran de sport, et il a été sélectionné dans l’équipe de France de voile. C’est une force de la nature …

Donc, Pradel déçoit. Assez vite, la liste de ses lacunes s’allonge. Un vrai chapelet : trop lent, ne s’intègre pas au travail d’équipe sur le pont, lambine pour lover les cordages, ne fait pas sa vaisselle, ne range pas ses bottes … Pis encore, le Toulonnais ne paraît pas comprendre les ordres du patron, à croire que les mots n’atteignent pas son cerveau. On le surprend, parfois, tenant une drisse à la main, avec ce regard absent du quidam qui fait pisser son chien. Pas dans le coup. Gentil, taciturne, bordélique, imprévoyant même, puisque sa réserve de cigarettes, insuffisante, part en fumée en un rien de temps.

Tony, dont la tolérance n’est pas le point fort, s’énerve contre son ami et ne le lui envoie pas dire. Un exemple. La bannette de l’Australien, à tribord, se trouve juste au-dessous de celle du Toulonnais. Quand, éreinté, Pradel regagne son duvet comme un

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