Hier ou jamais by Elisabeth Herrmann

Auteur:Elisabeth Herrmann
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Slatkine & Cie
Publié: 2016-01-15T00:00:00+00:00

27

Le cabinet était près de la Helmholtzplatz, au coin de la Dunckerstraße ; l’immeuble s’était jusque-là vaillamment défendu contre les rénovations massives effectuées dans les pâtés de maisons voisins. Ses beaux jours devaient remonter à l’entrée des Alliés dans Berlin. Le crépi s’effritait par plaques entières, laissant d’affreuses taches claires sur la façade grise. On avait jugé bon d’ôter le carrelage mural du hall d’entrée. Dans la partie du bâtiment donnant sur la rue, le stuc, autour des plafonniers arrondis, était parcouru de câbles électriques à haute tension qui serpentaient comme des lianes vers les étages supérieurs. Les boîtes aux lettres avaient toutes été fracturées plusieurs fois, certaines débordaient de prospectus. Seules les fenêtres, neuves mais sans crépi, indiquaient que l’immeuble n’était pas complètement abandonné. L’ensemble donnait l’impression d’un chantier arrêté en cours de route, comme si les ouvriers faisaient une pause et n’allaient pas tarder à revenir. Il n’y avait aucun nom sur les sonnettes, mais une petite plaque indiquait : Cabinet d’avocat Hoffmann, bât. fond, 2e droite.

Marie-Luise m’ouvrit, le téléphone coincé sous le menton, un mug de thé à la main. Elle m’indiqua une pièce à la fenêtre grande ouverte, envahie par la musique à plein volume qui venait d’en face. Une voix de femme retentit ; elle chantait en français.

Un jeune homme d’une vingtaine d’années, vêtu d’un t-shirt délavé bien trop grand pour lui, était assis à l’ordinateur devant la fenêtre. Il leva brièvement la tête quand je pénétrai dans la pièce, puis retourna à son écran.

— OK, dit Marie-Luise.

Elle tenta plusieurs fois d’interrompre son interlocuteur mais n’y parvint qu’au bout de quelques minutes.

— Ne vous faites pas de souci. Pas-de-sou-ci, d’accord ? Venez ici demain matin à 9 heures et vous pourrez tout nous raconter tranquillement. À 9 heures. 9 heures.

Elle me regarda, je hochai la tête.

— Adressez-vous à maître Vernau. Non, il ne dirige pas de groupe d’entraide, il est avocat. Votre fille sera en d’excellentes mains, avec lui. Elle raccrocha. Dix-sept ans, membre d’un gang de gamines libanaises. Arrêtée pour la sixième fois, déjà connue de la police pour vingt-quatre délits. Sans doute encore un délit connexe, pour se procurer de la drogue. Il va falloir la jouer serré.

— Une mineure libanaise et toxicomane…

— … qui se prostitue. Ouais. Marie-Luise écarta quelques piles de classeurs et s’assit sur le bureau. On n’est pas dans le monde des clubs de golf et des trois voitures par famille, ici. Elle se tourna vers son employé. Kevin, va donc nous refaire du thé, s’il te plaît.

Kevin se leva sans protester et sortit. Marie-Luise ferma la porte derrière lui.

— Alors tu es sérieux.

— Comment ça ?

— Tu veux vraiment travailler ici ?

J’ai jeté un regard circulaire dans la pièce. Vieilles armoires à classeurs, murs gris, et sur la porte, une affiche représentant un bébé phoque massacré. Je la montrai du doigt.

— J’ai le droit d’enlever ça ?

— Si tu veux. Moi, elle m’a toujours inspirée. Je te propose de travailler en ton nom propre. À la fin du mois, tu paies ta part des frais.

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